Auteur invité

Shahreen Reza est la fondatrice de PurifAid Water International Inc., une entreprise sociale canadienne qui déploie des unités de purification de l’eau au niveau communautaire dans les zones rurales du Bangladesh. PurifAid est soutenue par Grands Défis Canada dans le cadre du programme Les Étoiles en santé mondiale.


Cette semaine, des milliers de personnes et des centaines d’organisations du monde entier se réunissent à Stockholm pour la Semaine mondiale de l’eau. Le thème, L’eau pour le développement, reflète l’importance de l’eau dans le programme de développement mondial.

Au Bangladesh, l’ampleur du défi de l’approvisionnement en eau potable et de la gestion commune de l’environnement est particulièrement frappante. Dans un pays où tout le monde en dehors des villes tire son eau d’un puits tubulaire, 75 millions de personnes sont à risque de contamination par l’arsenic et d’autres métaux présents naturellement dans le sous-sol. Depuis que le problème de l’arsenic au Bangladesh a été découvert au début des années 1990, les efforts de sensibilisation et les mesures visant à assurer l’accès à des sources d’eau potable ne sont pas parvenus à réduire sensiblement le nombre de personnes exposées. Cette crise de contamination, que l’Organisation mondiale de la Santé a appelée « le plus grand empoisonnement de masse d’une population dans l’histoire, » est la cause d’un décès sur cinq dans ce pays aujourd’hui.

Du Scotch whisky à l’arsenic

Le catalyseur à l’origine de ce projet est apparu en 2010, alors que j’étais étudiant diplômé à Sciences-Po, à Paris, travaillant à un concours du Boston Consulting Group sur la commercialisation du Scotch whisky dans le monde en développement. J’ai rencontré un scientifique, le Dr Leigh Cassidy, qui avait inventé un moyen d’utiliser un sous-produit du whisky pour purifier l’eau facilement à coût modique. Dans mon esprit, une idée a cliqué : voilà quelque chose qui n’est pas cher, facile à utiliser et capable d’éliminer l’arsenic de l’eau souterraine. En fin de compte, notre projet d’affaires n’a pas remporté le concours – mais l’idée n’a pas disparu.

A boy in rural Bangladesh uses a water pump equipped with a PurifAid filter.

Garçon au Bangladesh rural utilisant une pompe à eau munie d’un filtre PurifAid.

J’ai réuni une équipe internationale qui a également été gagnée à la cause. En 2014, nous avons eu une percée quand, avec le soutien de Grands Défis Canada (qui est financé par le gouvernement du Canada) et en partenariat avec BRAC et le Centre international pour la recherche sur les maladies diarrhéiques, au Bangladesh, nous avons pu réussir la démonstration de principe avec quatre prototypes du filtre à eau dans la région de Matlab, au Bangladesh.

In Bangladesh, it is predominantly the women that are responsible for gathering water. Our team trained these women on how to use PurifAid's filters.

Au Bangladesh, ce sont surtout les femmes qui sont responsables de la collecte de l’eau. Notre équipe a formé ces femmes sur la façon d’utiliser les filtres PurifAid.

Notre matériel est simple : le filtre s’adapte sur les puits tubulaires existants et réduit le niveau d’arsenic de 80 à 95 %. Le défi qui reste à relever est de concevoir un modèle d’affaire durable pour payer, déployer et exploiter les filtres. Dans le passé, de nombreux projets d’eau potable ont échoué, non pas à cause de la technologie, mais parce que les filtres ne sont pas correctement utilisés ou entretenus. En outre, un projet visant à fournir de l’eau propre ne peut pas compter indéfiniment sur l’argent des donateurs. Pourtant, malgré toute l’urgence du problème, peu de villageois parmi ceux que nous avons interrogés étaient disposés à payer pour de l’eau purifiée. L’arsenic est invisible et inodore et il faut souvent plusieurs années avant que des symptômes n’apparaissent. Beaucoup de gens considèrent qu’il y a des choses plus urgentes sur lesquelles dépenser leur temps et leur argent.

Leçons apprises

Ce sur quoi ils veulent dépenser de l’argent est la commodité. Nous sommes retournés au Bangladesh en janvier 2015 et avons constaté que les gens sont beaucoup plus disposés à payer pour des réseaux d’eau courante. La tuyauterie en PVC serait un moyen beaucoup plus pratique de fournir de l’eau filtrée à un groupe de maisons avoisinantes que l’installation de notre filtre sur des puits tubulaires uniques. Un de nos ingénieurs, Steven Honan, est venu avec nous et a dessiné un système de distribution.

Parallèlement à cette leçon, un autre développement est survenu. Au cours de notre projet pilote, nous avons été contactés par un propriétaire d’usine de confection qui avait eu connaissance de notre filtre et était intéressé à savoir s’il pouvait décontaminer des eaux usées industrielles.

The saying is you can tell what colour is fashionable in the west by looking at the color of the river in the east. This river is purple from the dyes and chemicals being released by all the factories surrounding Gazipur.

Selon le dicton, vous pouvez dire quelle est la couleur à la mode dans l’Ouest en regardant la couleur de la rivière dans l’Est. Cette rivière est pourpre en raison des colorants et des produits chimiques rejetés par l’ensemble des usines entourant Gazipur.

L’industrie de l’exportation de textiles et de vêtements en plein essor au Bangladesh stimule la croissance du pays et fournit un moyen de subsistance à 5 millions de travailleurs, principalement des femmes. Les marques que nous avons dans nos penderies au Canada – H & M, GAP, Calvin Klein ou Levi’s, pour n’en nommer quelques-unes – vendent toutes des t-shirts, des jeans et des hauts fabriqués au Bangladesh. Pourtant, le modèle est écologiquement insoutenable : l’industrie du vêtement tire 1,5 milliard de litres d’eau souterraine chaque année au Bangladesh seul, entraînant une baisse dramatique de la nappe phréatique au cours des dix dernières années. Pendant ce temps, seulement une fabrique sur quatre possède un système de traitement adéquat – les autres rejettent leur eau fortement contaminée directement dans les rivières.

La plupart des ouvriers des usines de textiles proviennent de villages voisins, où ils sont exposés à de l’eau potable contaminée à l’arsenic. Plusieurs tombent malades, ce qui entraîne entre 7 net 12 millions de journées de travail perdues par an, sans compter tous ceux qui ne peuvent se permettre de rester à l’écart du travail même s’ils sont malades, et qui sont beaucoup moins productifs en conséquence.

Il semble que la meilleure façon de s’attaquer au double défi de la gestion des eaux usées et de l’eau non potable est une initiative conjointe : d’une part, aider les usines à réduire considérablement leur gaspillage et, d’autre part, fournir des systèmes d’eau potable bon marché et durables à leurs employés et leurs collectivités.

Over 80% of the women who work in the garments factories come from rural Bangladesh, where villages are highly affected by arsenic poisoning.

Plus de 80 % des femmes qui travaillent dans les usines de vêtements viennent de régions rurales du Bangladesh, où les villages sont fortement touchés par l’empoisonnement à l’arsenic.

PurifAid a fait beaucoup de chemin au cours des deux dernières années, et est maintenant prête à aborder la prochaine étape en mettant à l’épreuve son modèle de prestation d’entreprise sociale. En s’attaquant à l’une des plus graves crises de l’eau dans le monde, nous faisons partie d’une démarche beaucoup plus grande, dont les  répercussions vont bien au-delà du Bangladesh, pour toucher la façon dont nous produisons des biens et gérons les ressources aqueuses dans le monde entier. Il est encourageant de constater l’attention croissante accordée aux ressources en eau et à la gestion des eaux usées, y compris parmi les investisseurs privés – tels que Tau Investment Management – qui tournent leur attention vers l’épuration de l’industrie du textile et du vêtement.

Des eaux troubles à l’horizon

Après deux décennies d’efforts, 75 millions de personnes au Bangladesh n’ont pas encore accès à de l’eau potable. Pendant ce temps, l’industrie du textile et du vêtement est devenue autant un pilier essentiel qu’une menace continue pour l’environnement et la santé publique dans ce pays. Pour résoudre cette double crise, il faudra des solutions innovantes, axées sur la collaboration – deux valeurs chères à Grands Défis Canada, qui sont célébrées à l’occasion de la Semaine mondiale de l’eau et qui guident la démarche de PurifAid.

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Lisez le blogue d’Ammara Niyaz pour la Semaine mondiale de l’eau 2015 – Le Canada finance des innovations pour améliorer la qualité de l’eau dans le monde en développement.

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