Par : Jocelyn Mackie, co-PDG, et David Brook, directeur de la stratégie, Grands Défis Canada
Un article récemment publié par le New York Times, intitulé Moderna and U.S. at Odds Over Vaccine Patent Rights (Moderna et les États-Unis sont en désaccord quant aux droits de brevet du vaccin), met en lumière un défi trop fréquent dans le monde des partenariats public-privé pour les recherches et les innovations en matière de santé : qui a le droit légal de lancer les nouveaux produits et services mis au point, tout particulièrement pendant une crise sanitaire mondiale? La plupart du temps, cette question vise simplement à déterminer qui tirera profit d’un produit qui pourrait être une propriété intellectuelle (PI) incroyablement lucrative. Dans le cas du vaccin contre la COVID-19 mis au point par Moderna et le gouvernement américain, toutefois, cette question avait des implications bien plus graves pour la transmission de la COVID dans les communautés et les pays partout dans le monde et la santé des personnes qui y vivent et, par extension, pour nous tous.
Malheureusement, assurer l’accès à des produits pharmaceutiques et de santé susceptibles de sauver des vies aux communautés et aux pays mal desservis est souvent une arrière-pensée ou une priorité inexistante pour les gouvernements lorsque vient le moment de financer une innovation en santé. Trop souvent, l’accent est mis sur l’appui de nouvelles recherches et la commercialisation des idées d’innovations mises au point. Cela est avantageux pour les compagnies pharmaceutiques, mais n’est pas bénéfique en situation de crise sanitaire mondiale comme dans le cadre de la pandémie de la COVID. S’appuyer sur les forces du marché et faire des suppositions sur les collaborations ou encore la bonne volonté et le sens moral de compagnies comme Moderna s’est avéré être une grave erreur de la part des National Institutes of Health (NIH) des États-Unis, et cela ne doit jamais se reproduire.
Comment les bailleurs de fonds publics de la recherche comme les NIH, les Instituts de recherche en santé du Canada ou le Conseil national de recherches Canada peuvent-ils s’assurer que les produits développés grâce à leur financement sont abordables et facilement accessibles en cas de future crise mondiale? Il s’agit d’une situation de laquelle les bailleurs de fonds de la recherche locaux peuvent tirer une leçon importante grâce à des plateformes d’innovation de santé mondiale comme Grands Défis Canada.
En tant que bailleurs de fonds d’innovations de santé mondiale, nous plaçons les enjeux d’accès mondial (c’est-à-dire s’assurer que les populations mal desservies ont accès à des services et à des produits de santé susceptibles de sauver des vies) au cœur de notre travail. C’est pourquoi nous nous sommes engagés à offrir un accès mondial à toutes les étapes de nos processus de financement, tout particulièrement lorsque nous appuyons des idées qui sont passées par la phase de validation de principe et sont rendues à être appliquées à grande échelle. Au cœur de notre approche visant un accès mondial se trouve un engagement qui nous donne droit à une licence non exclusive pour toutes les propriétés intellectuelles (y compris, surtout, les propriétés intellectuelles sous-jacentes et habilitantes) développées grâce à notre financement. Cette licence entre seulement en vigueur si le titulaire de la PI choisit de ne pas rendre un produit accessible à un prix raisonnable dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Notre approche permet aux entreprises de conserver les droits des propriétés intellectuelles qu’ils ont mis au point et d’en tirer profit sur les marchés à revenus élevés ainsi que de vendre leurs produits à des fins lucratives dans les pays qui ont les moyens de les acheter. Cela entraîne une génération de profit durable qui permet aux entreprises de réunir des capitaux afin de bâtir des usines, d’obtenir des matières premières et de payer des employés, un aspect important de la mise à l’échelle des innovations, comme l’a justement souligné Jacob S. Sherkow. D’un autre côté, notre approche nous permet de nous assurer qu’une licence exécutoire est en place afin de fortement inciter les inventeurs à rendre leurs produits accessibles sur les marchés mal desservis.
Lorsque la situation le demande, nous avons également recours à une licence internationale qui entre en vigueur si l’Organisation mondiale de la Santé déclare une situation d’urgence liée à un problème de santé publique international, comme dans le cas de la COVID-19. Dans de tels cas, nous pouvons également attribuer une licence au produit obtenu afin de le rendre accessible dans le monde entier. Pour ce qui est du vaccin de Moderna, si les NIH avaient demandé cette sorte de licence en échange de ses milliards de dollars de financement, le gouvernement américain aurait joui d’un plus grand pouvoir de négociation pour permettre l’utilisation du vaccin dans des pays à revenu élevé également, comme le Canada.
Le déploiement à l’échelle mondiale du vaccin contre la COVID de Moderna aurait été bien différent s’il avait été placé sous une licence d’accès mondial rigoureuse et juridiquement contraignante qui aurait permis de prévenir l’apartheid des vaccins actuel empêchant le monde de vaincre la pandémie de la COVID-19. Tous les bailleurs de fonds de la recherche doivent tirer une leçon de l’échec des NIH et prioriser un accès mondial dès le début de leurs partenariats de financement, et non y réfléchir simplement une fois que le travail est terminé. Notre capacité à réagir face aux futures crises mondiales en dépend.