Auteur invité

Alice Emasu est la fondatrice et la directrice générale de Terrewode, en Ouganda. Elle est l’innovatrice principale dans le cadre d’un projet de notre programme Les Étoiles en santé mondiale qui vise à améliorer la sensibilisation à la fistule obstétricale et à créer un réseau de soutien.


En Afrique, la musique, la danse et l’art dramatique (MDAD) évoquent le courage, la victoire et l’héroïsme. Ils sont également utilisés pour traiter les traumatismes et la stigmatisation. La MDAD est de la nourriture pour l’oreille et de la médecine pour l’âme. Dans la tradition africaine, elle est un moyen idéal de communication qui rejoint la culture populaire. Pourtant, la communauté internationale de la fistule obstétricale n’a pas utilisé la MDAD pour tenter d’atteindre ses objectifs.

Pour le lecteur non averti, un mot d’abord sur la fistule obstétricale.

La fistule obstétricale est une rupture entre le vagin et la vessie ou le rectum qui survient lors d’un accouchement prolongé (3 jours). La fistule obstétricale frappe le plus souvent les femmes qui vivent dans les pays sous-développés, où les grossesses précoces ou rapprochées et le manque d’accès aux soins obstétricaux d’urgence sont d’importants facteurs de risque pour la fistule. Lorsque survient une obstruction de l’accouchement, la femme peut rester dans une douleur atroce pendant des jours avant que le bébé ne soit finalement délogé. Son bébé meurt probablement et la femme se retrouve souvent avec une fistule obstétricale, une petite perforation provoquée par la pression constante du fœtus, qui est à l’origine d’une incontinence urinaire et fécale. Une femme aux prises avec une fistule est souvent mise à l’écart, trop souvent rejetée par son mari et poussée à l’exil, hors de son village.

En Ouganda, on estime que 140 000 à 200 000 femmes souffrent d’une fistule obstétricale. Depuis 2006, il y a eu une légère diminution du nombre de cas, de 2,6 % à 2 % des femmes en âge de procréer (Enquête démographique et sanitaire en Ouganda, 2011, 2006). Toutefois, l’important retard accumulé s’ajoutant à de nouveaux cas (environ 1900 par an) fait que l’on a dépassé la capacité de soins et de traitement existante, soit de 1500 à 2000 cas par année.

Alors que nous célébrons la Journée internationale de la fistule (23 mai), il est crucial de comprendre que nous ne pouvons pas atteindre les objectifs fixés dans la campagne pour mettre fin à la fistule sans envisager un moyen de communication qui est si pertinent pour les populations les plus vulnérables d’Afrique, les filles et les femmes pauvres touchées dans les pays en développement comme l’Ouganda. Ainsi, alors que le monde dit « Mettre fin à la fistule, Rétablir la dignité des femmes, » nous, en Ouganda, nous disons : « Mettre fin à la fistule, Sauver la dignité des femmes ».

Réseau de sensibilisation et d’intervention pour la fistule obstétricale

Avec le soutien de Grands Défis Canada et du gouvernement du Canada, j’ai conçu un modèle novateur et holistique de programme axé sur la fistule obstétricale qui incorpore la musique, la danse et le théâtre par le biais de Terrewode, un organisme national sans but lucratif que j’ai fondé il y a 15 ans et où je sers comme directrice exécutive.

Notre objectif était d’identifier, de traiter et de réinsérer les patientes atteintes d’une fistule, et de les doter de compétences et de connaissances dans la production, la commercialisation et la promotion de pièces de théâtre, de sorte qu’elles deviennent des intervenantes championnes. Nous avons créé un réseau social populaire qui permet aux patientes de développer des projets et des activités pour générer des fonds destinés à soutenir un programme de crédit renouvelable favorisant l’autonomisation économique des survivantes. L’idée est de renforcer les capacités communautaires pour éliminer la fistule obstétricale tout en cherchant systématiquement à autonomiser les femmes et les filles pour qu’elles aient une participation significative au processus de développement. Un réseau d’éducation populaire a été mis en place à l’aide de l’interprétation théâtrale pour accroître la sensibilisation et la représentation des intérêts de ce groupe. Un réseau populaire réunissant des bénévoles de la collectivité, des leaders d’opinion, des groupes de femmes, des chefs de district, et des agents chargés de la paix a été mis sur pied pour relever le défi de localiser les femmes isolées et de leur donner les traitements et les services requis pour mettre fin à leur souffrance silencieuse.

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Grâce à ce modèle, nous pouvons dire que nous avons réussi à rompre le silence entourant la fistule obstétricale en Ouganda; mon organisation et moi-même avons acquis une reconnaissance nationale. L’approche de la MDAD non seulement fournit aux survivantes de la fistule une plateforme pour partager leurs expériences, elle leur donne également l’occasion d’utiliser leurs talents et leurs connaissances pour tirer un revenu de leurs interprétations, contribuant à l’autosuffisance économique. En outre, elle a accru la sensibilisation à cette question et la représentation des intérêts de ce groupe.

Terrewode a utilisé la MDAD comme un instrument de ralliement contre la fistule obstétricale. En fait, nous voyons la fistule comme un point de départ pour susciter des innovations et accélérer les engagements destinés à améliorer les droits maternels et reproductifs en général. Avec l’appui de sympathisants masculins, plus de la moitié des membres des groupes d’intervention contre la fistule activement engagés dans le programme MDAD sont des femmes et des filles qui ont été traitées avec succès pour la fistule et ont maintenant adopté la MDAD pour accroître la sensibilisation et promouvoir les droits des intéressées.

Produire des résultats et générer un impact

Dans la sous-région de Teso, en Ouganda, où a débuté la campagne contre la fistule, le financement de Grands Défis Canada a aidé à établir cinq groupes de solidarité entre 2013 et 2014. Ces groupes ont introduit la MDAD pour sensibiliser les communautés rurales aux facteurs de risque pendant la grossesse et à l’accouchement, ainsi qu’à la disponibilité de traitements de la fistule et d’autres services, y compris les besoins liés à la réinsertion sociale des survivantes.

La subvention a permis aux groupes de mettre en scène des spectacles éducatifs réguliers au niveau communautaire et au niveau national pour des publics ciblés, dont les membres du Parlement, les entreprises et les dirigeants d’organisations de la société civile. Cela inclut les parties intéressées par le problème de la fistule en Ouganda et ailleurs dans le monde. Au fil du temps, ces présentations ont évolué et mettent aujourd’hui en vedette des célébrités nationales. Des CD et des DVD ont été enregistrés et ils ont contribué à modifier les conceptions erronées selon lesquelles la fistule était une manifestation de malchance ou de sorcellerie.

Le succès de l’intervention MDAD et de la campagne ciblant la fistule est en grande partie attribuable à la stratégie innovante du Obstetric Fistula Awareness and Advocacy Network (OFAAN), dans lequel Terrewode a initialement investi. L’OFAAN, un réseau social communautaire ayant un effectif diversifié de bénévoles, offre de l’éducation continue sur la fistule, tout en identifiant les femmes concernées et en les orientant vers les services de traitement gratuits. Il assure également un suivi régulier des femmes qui réintègre la collectivité après une chirurgie réussie. Le réseau OFAAN est reconnu et recommandé par le ministère de la Santé de l’Ouganda comme modèle à reproduire pour le traitement de la fistule, la réinsertion sociale et la prévention.

Une histoire vraie

Il n’y a pas de meilleure façon de démontrer l’impact significatif de cette approche novatrice et le soutien fourni par Grands Défis Canada que ce témoignage d’Irene Mirembe, survivante de la fistule.

« En décembre 2013, je suis allée à l’hôpital de Mulago pour donner naissance à mon premier enfant. J’avais alors 20 ans. Ce fut un accouchement difficile parce que le bébé ne voulait pas sortir quand je poussais. L’accouchement a duré une journée er demie. J’ai finalement accouché d’un bébé mort-né. J’ai perdu conscience et les médecins ont dit à mes parents que j’étais morte. Plus tard, ils ont découvert que j’étais encore en vie, mais la déchirure dans mon canal de naissance n’a pas été réparée. Quand mon mari a appris cela, il a ramassé les restes de l’enfant, et je ne l’ai jamais revu depuis. Mon état était critique, surtout quand les médecins ont réalisé que j’avais une fistule. Ils ont dit à mes frères qu’il n’y avait pas de remède pour la fistule. Mes frères m’ont abandonnée à l’hôpital.

Un jour, des gens sont venus me voir à l’hôpital. Ils m’ont dit qu’ils travaillaient pour TERREWODE et que je pouvais être guérie de la fistule par une chirurgie. Comme personne ne s’occupait de moi, je ne pouvais pas me payer la chirurgie, mais ils ont pris soin de tout : ils m’ont nourrie et ont veillé à ce que je reçoive un traitement gratuit à Mulago. En ce moment, je vis au Women’s Empowerment and Self Reliance Center, à Soroti, que TERREWODE et le ministère de la Santé ont lancé en 2013. De là, j’ai l’occasion d’offrir des services à d’autres femmes réintégrées lorsqu’elles sont inscrites au centre. Le centre est un lieu de réadaptation et de réinsertion axé sur l’autonomisation des femmes comme moi qui n’ont pas de lieu sûr où résider après une chirurgie réussie ».

Lors de la Journée internationale de la fistule (23 mai), nous sommes reconnaissantes des progrès accomplis, mais aussi conscientes des défis qu’il reste à surmonter. Le problème demeure énorme et les ressources ne seront malheureusement jamais suffisantes. Nous faisons appel à tous les acteurs concernés, en particulier les gouvernements, pour qu’ils réagissent et nous aident à affronter ce problème.


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