Grands Défis Canada


Rédigé par Andrew Foote, PDG et co-fondateur chez Sanivation 

Bien que la population de l’Afrique ait augmenté de manière continue dans la dernière décennie, les mesures pour permettre un accès à des infrastructures sanitaires gérées de manière sécuritaire prennent rapidement du retard. Source : Our World In Data

Une personne sur deux vit dans des communautés où les déchets humains ne sont pas gérés de manière sécuritaire, et ce, particulièrement dans les pays à faible et à moyen revenu. Les bienfaits de vivre dans un environnement sanitaire tant pour la santé publique qu’environnementale sont tout aussi évidents qu’abondants. Pourtant, alors que la planète fait face à une croissance démographique, le nombre d’accès à l’assainissement sécuritaire ne semble pas avoir suivi.   

L’un des plus importants obstacles à la mise en place de mesures d’assainissement pour tous réside dans les coûts relatifs et le financement disponible. En effet, l’assainissement traditionnel au sein de communautés à faible revenu exige de grands investissements, un défi considérable pour les gouvernements dont les citoyens gagnent moins de 5 $ par jour. Il est clair que le secteur de l’assainissement est en manque de projets innovants, mais si instaurer à grande l’échelle est un concept rapidement assimilé par les gouvernements, celui de le faire de manière innovante l’est beaucoup moins. 

Sanivation, une entreprise sociale basée au Kenya et soutenue par le GDC, s’est penché sur ce problème. Comment peut-on innover dans nos approches à l’assainissement? Que faudrait-il faire pour que tous les pays aient accès aux mêmes avantages accordés par une gestion des déchets de qualité dont disposent les Canadiens, et ce, même si leurs citoyens moyens gagnent dix fois moins que ces derniers?   

Après sept ans passés à développer et à concevoir des solutions afin de les intégrer aux approches à échelle nationale des gouvernements de l’Afrique de l’Est, Sanivation a récemment franchi une étape importante. Leur nouvelle usine de traitement, conçue pour transformer les déchets en biomasse puis en carburants renouvelables, a officiellement été achetée publiquement par une ville sur la côte du Kenya, ce qui bénéficiera aux 350 000 habitants.  

Nous avons invité Sanivation à partager leur parcours de développement de projets innovants à échelle gouvernementale et les leçons qu’ils en ont tirées. 


En Afrique, plus de 7 000 villes ne disposent pas de systèmes adéquats de gestion des déchets. Plusieurs personnes se voient donc forcées à vivre dans un environnement contaminé par les déchets et à en consommer l’eau. Ces villes représentent une occasion importante pour nous de faire équipe avec les gouvernements locaux.   

Certains diront que l’innovation et le gouvernement font deux. Nous ne sommes pas tout à fait d’accord. En fait, nous pensons sincèrement que de promouvoir les innovations au niveau gouvernemental est la seule manière dont on pourra réussir à faire progresser le secteur de l’assainissement. L’une des principales leçons que nous avons tirées de nos partenariats avec le gouvernement, justement, a été très bien résumée par deux dirigeants dans le texte « The Journey to Scale with Government » de Spring Impact et VillageReach.  

« La meilleure manière d’intégrer des projets à échelle gouvernementale n’est pas vraiment d’offrir une solution à mettre en œuvre, mais plutôt de concevoir des stratégies en collaboration avec le gouvernement dès le début. De cette manière, l’intégration devient plus automatique et les probabilités que le gouvernement applique une telle solution et qu’elle devienne une initiative durable augmentent », explique Nosa Orobaton, employé au sein de la Fondation Bill & Melinda Gates.  

Martina Lukong Baye, du ministère de la Santé publique du Cameroun, a également ajouté que « si la durabilité et les impacts d’une solution appliquée par le gouvernent à long terme ne sont pas des enjeux au centre même du projet dès ses débuts, alors celui-ci risque d’être délaissé très rapidement après son lancement. Il faut s’assurer de prendre son temps, même si cela demande de la patience. » 

De même, nous percevons donc nos apprentissages acquis comme un chemin tracé par les questions que nous prenons le temps de nous poser à chaque étape d’un projet. Ci-dessous, nous vous proposons un guide simplifié au meilleur de nos aptitudes qui décrit le chemin tortueux que nous avons suivi afin de construire une entreprise d’assainissement innovante axée sur le partenariat avec les gouvernements locaux.  

Phase  1 — Déterminer et prouver l’aspect économique du projet : Était-il possible pour nous de développer une solution innovante capable de répondre aux besoins des villes en pleine expansion, mais pour un cinquième des coûts que nécessitent les services traditionnels?  

Nous avons testé notre modèle d’assainissement innovant au niveau des ménages, fournissant des toilettes formées à base de conteneurs où les déchets humains étaient régulièrement collectés et transformés en briquettes de charbon de bois. Les ménages à faible revenu contribuaient de manière mensuelle afin d’avoir accès à ce service. 

Pour être honnêtes, nous ne savions pas si nos nouveaux produits fonctionneraient bel et bien jusqu’à que nous ayons commencé à observer leur adoption par le marché. La structure des coûts totalisait une somme de moins d’un cinquième des coûts liés aux solutions traditionnelles. Cependant, tant le modèle des toilettes à base de conteneurs comme le modèle de vente des briquettes comportaient des désavantages similaires dans le cadre d’une initiative visant l’échelle gouvernementale : le fonctionnement des deux exigeait une vente directe aux ménages. Afin de créer un impact sur les vies de plus d’un million de personnes, il nous faudrait alors réaliser plus d’un million de ventes. Les problèmes ne s’arrêtaient pas là, non plus. En effet, bien que plusieurs ménages à faible revenu aient été enthousiastes à l’idée, peu possédaient les moyens de payer le coût total des services.  

Phase  2 — Développer des approches d’accès au marché : Existait-il une possibilité viable et simple d’accéder au marché afin de servir plus d’un million de personnes?  

Camion d’épuration NAIVAWASCO à la station de traitement de Naivasha

Le but principal du projet était de soutenir les ménages à faible revenu et, pourtant, c’était à eux que nous étions en train de faire subir la somme totale des coûts de ce nouveau modèle de prestation de services. Les approches traditionnelles, elles, offrent au moins l’avantage d’avoir leurs coûts d’immobilisations subventionnés par le gouvernement. Prenez, par exemple, les égouts. Nous sommes donc retournés évaluer notre énoncé de mission, trouver une solution permettant d’offrir des services d’assainissement gérés en toute sécurité à un nombre maximal de personnes et avons vite réalisé que d’offrir un accès inclusif à l’assainissement ne serait pas possible sans le gouvernement. Une collaboration avec le gouvernement nous permettrait d’intégrer notre projet à grande échelle, changeant la cible de notre modèle de ménages individuels à villes, et ainsi d’offrir nos services à des villes entières. Un tel ajustement aurait un impact sur un nombre considérablement plus élevé de personnes. De plus, la grande machinerie gouvernementale deviendrait alors notre alliée, plutôt que notre adversaire.  

Nous avons donc défini les gouvernements locaux comme nos principaux clients et avons déterminé les défis particuliers qu’ils impliquaient, tout en conceptualisant nos services à nouveau afin de répondre à leurs demandes. Il existe souvent du financement offert par les gouvernements nationaux et les institutions de financement internationales, mais le problème réside dans l’absence de projets bien structurés et possédant des structures opérationnelles durables à financer. Maintenant, nous nous occupons d’aider les gouvernements à établir leurs priorités et, à partir de celles-ci, de leur présenter des projets qui assurent la durabilité opérationnelle sans nécessiter du financement supplémentaire du gouvernement pour leurs opérations. Par exemple, au sein de nos usines de traitement et de valorisation des déchets, les recettes provenant des déchets transformés en carburants issus de la biomasse couvrent les coûts d’exploitation de l’usine. De tels projets favorisent les opérations et empêchent les usines de fermer et de devenir désuètes tout en évitant d’accabler les gouvernements locaux avec le fardeau de leurs coûts. 

Phase  3 — Partenaires et promoteurs permettant des projets à grande échelle : Serions-nous capables d’établir notre crédibilité, nos champions locaux et un environnement propice à la réussite de nos solutions?  

Tout cela a représenté un défi. En effet, nous avions délaissé les ménages en tant que clients pour nous tourner vers les gouvernements, et ces derniers seraient attirés par de différentes propositions de valeur. Nous avons également dû déterminer qui, exactement, seraient nos principaux clients au sein du gouvernement. Les ministères nationaux, après nous, tendent souvent à négliger l’assainissement tant qu’ils ne disposent pas d’un projet. À la suite de nos efforts de sensibilisation, il est vite devenu clair que les mandats des services d’eau verraient bientôt s’ajouter à leur liste des responsabilités d’assainissement. Nous avions désormais un client  : les services publics d’eau qui possédaient maintenant un nouveau mandat leur exigeant d’offrir des services d’assainissement.  

Même si nous savions qu’il nous fallait nous concentrer sur les services d’eau, nos clients clés, nous ne nous privions pas de discuter de nouvelles solutions dont les dirigeants gouvernementaux n’avaient jamais entendu parler auparavant. Nous recevions donc souvent des questions de leur 

part : « Pourquoi est-ce ces solutions ne s’utilisent pas “en Occident”? ».  

Cérémonie d’inauguration de la station de traitement de Naivasha

Avant de pouvoir croire aux impacts et à la durabilité, ils voulaient voir ces innovations en action. Mener des projets-pilotes au sein des infrastructures publiques est difficile. Ceux-ci requièrent du temps, des terrains et la participation financière de la part de partenaires gouvernementaux. En plus, lorsqu’il est question de projets-pilotes, il est plus difficile d’observer des résultats tangibles lors de leurs débuts. Malgré tout, le service local d’approvisionnement en eau de Naivasha a pris le risque de travailler avec nous et s’est lancé à l’eau. Grâce à leur confiance, nous avons pu démontrer la crédibilité de notre proposition en la transformant en

 réalité : les services d’approvisionnement ont la chance d’améliorer leurs rendements et leur viabilité financière lorsqu’ils établissent un partenariat avec Sanivation. 

Phase  4 — Intégration au marché et soutien : Est-ce qu’il était possible d’intégrer nos solutions innovantes aux formes traditionnelles d’approvisionnement?  

Au Kenya et dans les régions de l’Afrique de l’Est, nous voyons maintenant croître la demande pour le modèle que nous avons développé à Naivasha. Toutefois, les gouvernements et les institutions financières internationales demeurent réticents à l’idée de prendre des risques et de délaisser leurs anciens mécanismes d’approvisionnement en faveur de nouvelles solutions d’infrastructure. Le secteur de l’énergie a fait face à un obstacle similaire lorsqu’est venu le temps d’adopter la production d’énergies renouvelables. Bien que rentables et meilleures pour l’environnement, ces énergies n’en restaient pas moins nouvelles et différentes. Pourtant, depuis 1980, l’accès à l’énergie au Kenya s’est grandement amélioré, passant de 10 % à 60 %. Aujourd’hui, intégrer un approvisionnement en énergies renouvelables et le secteur privé lors de la conception, la construction et l’exploitation des contrats de nouveaux projets énergétiques est presque devenu la norme. Nous pensons qu’avec le soutien adéquat, nous pouvons susciter un

changement catalytique similaire et ainsi obtenir, à l’avenir, un accès à l’assainissement et à des villes propres à grande échelle. Pour réussir un tel changement, bien sûr, il faut planifier, sensibiliser, collaborer et prendre des risques.  

Lancement à Malindi

Nous observons déjà un exemple de ce changement dans les mécanismes d’approvisionnement à Malindi, une ville côtière du Kenya connue pour ses plages et son tourisme. Motivée par la durabilité opérationnelle à long terme, la ville de Malindi a modifié son plan d’approvisionnement, transformant son installation de stockage des déchets en une usine de traitement et de valorisation des déchets. La ville dispose maintenant d’une usine qui fournit des services d’assainissement inclusifs à tous ses résidents tout en étant capable de se soutenir financièrement grâce à la valorisation des déchets qu’elle aura collectés au cours des années. 

Nous poursuivons donc notre parcours d’apprentissage. Pour nous, cet article fait partie de notre processus de sensibilisation. Nous continuons également de rappeler aux gens les avantages qu’un accès plus inclusif à l’assainissement représente pour la croissance verte et pour notre planète bleue. À chaque deux ans, l’Afrique gagne en population un nombre égal aux habitants de toute la France. Maintenant, plus que jamais, l’occasion se présente d’adopter des solutions innovantes et de tirer des leçons de nos expériences de travail visant à créer un impact durable en collaboration avec le gouvernement.