Grand Challenges Canada


Sara Wolfe, directrice, Initiative d’innovation autochtone
Grands Défis Canada
7 juillet 2020

 

Introduction

Ahnii. Bonjour. Good afternoon, Madame la présidente et membres du Comité.

Je m’appelle Sara Wolfe et je suis directrice de l’Initiative d’innovation autochtone à Grands Défis Canada.

Merci de nous avoir invitées à parler aujourd’hui des effets sexospécifiques de la pandémie de COVID-19 au Canada.

J’aimerais commencer par reconnaître la longue histoire et la présence durable des peuples autochtones, y compris les Premières nations, les Métis et les Inuits, à Turtle Island.

En tant qu’Anishnawbe-kwe ayant des liens étroits avec la Première nation de Brunswick House dans le nord de l’Ontario, je voudrais reconnaître le territoire du peuple algonquin anishnawbe de « Shabot Obaadjiwan », où je suis actuellement en visite pendant cette période très chaude de la « lune framboise », la lune qui coïncide avec le début de grands changements.

J’attends avec un intérêt particulier vos questions au terme de ma déclaration.

Au cours des dix dernières années, Grands Défis Canada s’est engagé à soutenir des Idées audacieuses ayant un grand Impact. Avec l’apport financier du gouvernement du Canada et d’autres partenaires, nous appuyons les innovateurs qui se rapprochent le plus de certains des défis les plus pressants dans le monde. Les idées audacieuses dans lesquelles investit Grands Défis Canada intègrent la connaissance scientifique et technologique, sociale et commerciale – et maintenant aussi le savoir autochtone – dans le but de sauver et d’améliorer la vie des gens au Canada et dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Notre organisation a appuyé plus de 1 300 innovations dans 106 pays. Nous estimons que ces innovations pourraient sauver jusqu’à 1,8 million de vies et améliorer jusqu’à 64 millions de vies d’ici 2030.

Au cours des quatre derniers mois, nous avons été à l’écoute de nos innovateurs, de nos partenaires et des membres de la collectivité pour apprendre comment la COVID-19 a influencé leur vie.

L’impact sexospécifique de la COVID-19

Partout dans le monde, la présente pandémie aggrave les inégalités préexistantes, en particulier pour les personnes pauvres et racialisées, et expose les vulnérabilités des systèmes sociaux, politiques et économiques qui, à leur tour, intensifient les effets de la pandémie.

Des preuves décourageantes d’effets encore plus sérieux pour les personnes qui se trouvent à l’intersection de vulnérabilités multiples, comme les femmes vivant dans la pauvreté par exemple, émergent également. Une compréhension intersectionnelle est nécessaire si nous voulons nous remettre de la COVID-19 de la bonne façon, au Canada et ailleurs dans le monde.

En effet, tel que décrit dans le document d’orientation du 9 avril, 2020 des Nations Unies, intitulé The Impact of COVID-19 on Women, dans tous les domaines, de la santé à l’économie en passant par la sécurité et la protection sociale, les effets de la COVID-19 sont aggravés pour les femmes et les filles simplement en raison de leur sexe :

  • Augmentation du travail de soins non rémunéré;
  • Réaffectation des ressources et / ou attaques brutales contre les services de santé sexuelle et reproductive;
  • Augmentation de la violence sexiste; et
  • Plus vous étiez pauvre au départ, plus la situation s’est aggravée.

Au Canada, nous avons peut-être tendance à penser que les choses sont pires dans le ‘monde extérieur’. Mais en réalité, la situation ici pour certains n’est pas très différente.

L’impact de la COVID-19 sur les femmes, les filles et les personnes de genres divers d’origine autochtone au Canada

Je comparais devant le Comité aujourd’hui pour traiter des effets sexospécifiques de la pandémie sur les peuples autochtones au Canada, de ce que fait l’Initiative d’innovation autochtone à ce sujet, et de tout ce que nous pourrions faire de plus.

Mes sœurs ont historiquement subi des fardeaux plus lourds sur les plans de la pauvreté, de la discrimination, de la criminalisation et de la violence. Il existe une pléthore de rapports sur les répercussions sexospécifiques liées au fait d’être une femme, une fille ou une personne de genre divers d’origine autochtone au Canada, y compris les conclusions clés du rapport Réclamer notre pouvoir et notre place : Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Le Rapport final a confirmé que la violence familiale, la traite des êtres humains et les préoccupations en matière de santé étaient déjà des problèmes importants pour ces groupes, avant même que ne survienne la COVID-19.

J’espère sincèrement que tous les membres du Comité sont déjà bien familiarisés avec ce rapport et ses appels à la justice. La communauté autochtone attend le plan d’action du gouvernement.

Mais de nouveaux rapports sont également parus récemment sur les effets sexospécifiques de la COVID-19 pour les peuples autochtones.

Le mois dernier, l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) a publié une enquête en ligne menée auprès de 750 femmes et personnes de genres divers d’origine autochtone, notant un « pic très préoccupant » du nombre de femmes autochtones confrontées à la violence durant cette période de confinement, alors que 1 femme sur 5 a signalé un incident violent au cours des trois derniers mois. En fait, parmi les femmes autochtones interrogées, un plus grand nombre étaient préoccupées davantage par la violence que par le virus lui-même. Une autre constatation clé est que l’impact financier de la COVID19 a une corrélation étroite avec la violence contre les femmes autochtones.

Toujours en juin, Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone à l’Université Ryerson, a écrit dans un article intitulé Gendered Pandemic Response Needed to Addressing Specific Needs of Indigenous Women, « Le fait que le Canada n’applique pas une optique de genre dans ses mesures de lutte contre la pandémie ignore les nombreuses façons dont la pandémie de COVID-19 affecte de façon disproportionnée les femmes en général. […] Considérons alors le double désavantage que subissent les femmes autochtones, qui se voient également forcées d’évoluer dans une ‘infrastructure de violence’ ». L’article présente plusieurs façons dont les femmes et les personnes de genres différents d’origine autochtone ont été frappées de manière disproportionnée, et pourquoi il y a un besoin urgent de planification spécifique à la pandémie pour ce groupe démographique.

Dans une incarnation antérieure, j’ai travaillé comme sage-femme auprès de familles autochtones urbaines pendant près de deux décennies. Mes amis et anciens collègues des soins de santé me rapportent que les effets au niveau de la rue – surdoses d’opioïdes, ITS non traitées, agressions, trafics, travail de rue et prostitution, itinérance, grossesses non planifiées – sont tous en hausse, en particulier pour les peuples autochtones.

Vers des solutions durables

Le maintien du statu quo signifie que les écarts continueront de se creuser et que la situation des femmes, des filles et des personnes de genres divers d’origine autochtone continuera de s’aggraver. Mais il n’est pas inévitable qu’il en soit ainsi.

La cause profonde des inégalités genrées et racialisées liées à la pandémie que nous observons parmi les femmes et les personnes de genres divers d’origine autochtone est bien plus enracinée que la problématique du manque de masques et de désinfectant pour les mains. Il faut se concentrer sur l’élaboration de solutions durables à long terme.

Le Canada a l’occasion de s’engager sur la voie d’une réponse sexospécifique – une réponse qui englobe une approche spécifique aux besoins des femmes et des personnes de genres divers d’origine autochtone tenant compte du contexte de violence raciale et de pauvreté.

Les petites et moyennes entreprises jouent un rôle clé dans l’économie canadienne.

Les femmes – autochtones et non-autochtones – sont le fondement des familles et des communautés.

Entre 2013 et 2017, les petites et moyennes entreprises ont représenté 85 % de la création nette d’emplois dans le secteur privé. En 2017, les PME employaient près de 90 % de la main-d’œuvre du secteur privé au Canada.

Mais seulement 1,4 % de ces entreprises appartenaient à des Autochtones, en dépit du fait qu’ils représentent 5 % de la population du pays. Et seulement le quart de ces 1,4 % appartenaient majoritairement à des femmes autochtones.

Pour les femmes et les personnes de genres divers d’origine autochtone, la réconciliation économique est une étape critique de leur émergence; cela nécessitera des investissements durables dans des efforts spécifiques de relance économique.

Imaginez ce qui se passerait si, dans le cadre du plan de relance économique de la COVID-19, nous investissions dans les femmes et les personnes de genres divers d’origine autochtone afin qu’elles puissent se positionner pour prospérer lorsque l’activité économique, au Canada et dans le monde, reprendra.

Grâce à des fonds de contrepartie de 10 millions de dollars provenant du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres du gouvernement du Canada, nous avons déjà commencé ce travail.

Nous avons été submergés par les réponses à notre récent appel de propositions visant à accélérer l’égalité des genres par le biais de l’innovation autochtone et l’entrepreneuriat social. Nous avons reçu 238 demandes englobant l’innovation commerciale, sanitaire, sociale, technologique, environnementale et culturelle – mais malheureusement, nous ne pourrons financer que les 3 % les plus prometteurs au cours de cette ronde (environ 5 à 7 projets).

Pensez à l’impact potentiel pour les femmes et les filles autochtones une fois que les meilleurs projets seront opérationnels!

Pensez à ce que pourrait être l’impact potentiel pour les femmes et les filles autochtones si nous pouvions financer les 10 % les plus prometteurs!

Et si nous investissions encore plus dans l’innovation autochtone en adoptant une perspective de genre? Pour leur donner – ainsi qu’à la prochaine génération (après tout, cela revient à les aider à prendre soin de leur famille) – une chance encore meilleure d’atteindre leur plein potentiel.

Et si nous commencions par compenser les fonds de secours d’urgence pour les Autochtones qui ont perdu leur emploi en raison du ralentissement de l’économie. Je connais un groupe d’innovateurs autochtones qui ont d’excellentes idées, beaucoup de soutien de leurs communautés et des tonnes de courage.

Conclusion

Il est essentiel que tout plan de relance post-COVID-19, à l’échelle mondiale et au Canada, place les femmes, les filles et les personnes de genres différents – leur inclusion, leur représentation, leurs droits, leur situation sociale et économique, leur égalité et leur protection – au centre des préoccupations si nous voulons qu’il ait l’impact souhaité.

Mais ce plan de relance est aussi l’occasion d’investir dans l’égalité en adoptant une perspective sexospécifique et anti-oppression. Donnons au monde une plus grande part du Canada auquel nous aspirons tous, un pays où chacun a la possibilité d’atteindre son plein potentiel.

Meewgetch. Thank you. Merci.

Sur ce, Madame la présidente, je serais ravie de répondre à vos questions.