Auteur invité

Le Dr Kwame McKenzie est directeur médical au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) et professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Toronto. Le Dr McKenzie est un expert international sur les causes sociales de la maladie mentale, le suicide et le développement de systèmes de santé efficaces et équitables. À titre de médecin, psychiatre, chercheur et conseiller politique, le Dr McKenzie a travaillé à préciser les causes de la maladie mentale, notamment en santé interculturelle, depuis plus de deux décennies.


Aujourd’hui, c’est la Journée Bell Cause pour la cause. Cette campagne anti-stigmatisation historique, dirigée par l’entreprise de téléphone et de médias Bell, incite les Canadiens à parler de la santé mentale. Mais il y a plus que cela. Elle verse de l’argent en santé mentale pour chaque appel fait aujourd’hui sur leur réseau et pour chaque tweet utilisant #BellCause.

Jusqu’à présent, elle a versé plus de 60 millions $ à des initiatives communautaires en santé mentale et à des hôpitaux au Canada. Il s’agit d’une initiative vraiment exceptionnelle.

Mais à l’occasion d’un aussi grand jour au Canada, il est difficile de ne pas réfléchir à la situation dans le monde. De nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire ne peuvent que rêver d’une telle somme d’argent pour la santé mentale. Le montant versé par Bell dépasse leur budget pour les services de santé mentale. Par exemple, 60 millions de dollars représente, sans autre ajustement, environ 30 fois le budget annuel de la santé mentale d’un pays comme le Kenya, où la population atteint 40 millions de personnes.

Cette somme permettrait de faire beaucoup de choses dans un pays à revenu faible ou intermédiaire.

L’ampleur des besoins de services de santé mentale et le manque de financement peuvent décourager les gens. On pourrait faire valoir que les budgets locaux de santé mentale sont trop petits. S’appuyant sur le travail extraordinaire accompli par Grands Défis Canada pour trouver des innovations et des solutions peu coûteuses à l’étape de la démonstration de principe, il est aussi essentiel de développer des voies pour que ces bonnes idées puissent être déployées à plus grande échelle.

En effet, comment faire pour que les idées à l’origine d’innovations en santé mentale soient déployées à l’échelle et soutenues dans les pays pauvres en ressources est une problématique qui m’a hanté à toutes les fois que je suis allé à des réunions internationales.

Je pense qu’il y avait au fond de mon esprit une forme de pensée magique. Je pensais que peut-être quelque part, en cherchant assez fort, nous pourrions repérer des initiatives dans les pays à faible revenu qui ont été adoptées et dont nous pourrions tirer des leçons.

Peut-être que nous pourrions mettre le doigt sur une technique innovante, comme le travail de déviance positive venu de l’organisme de bienfaisance Save the Children.

Si vous ne connaissez pas cette histoire, elle est intéressante. Deux personnes travaillant pour cet organisme au Vietnam dans les années 1990 cherchaient comment faire face au problème d’un taux de malnutrition de 64 % chez les enfants. Mais lorsqu’elles ont regardé de plus près, elles ont constaté qu’il y avait d’autres enfants aussi pauvres dans la collectivité qui n’étaient pas sous-alimentés – les déviants positifs. Ils ont étudié davantage la situation des enfants bien nourris et ont constaté que certaines des choses qu’ils faisaient leur permettaient d’éviter la malnutrition. Ces enfants et leurs parents utilisaient des stratégies inédites mais fructueuses pour contrer la malnutrition. Les parents réussissaient à faire manger à leurs enfants des aliments considérés comme culturellement inappropriés pour eux, comme des feuilles de patate douce et des crustacés. Ils ont appris à leurs enfants à se laver les mains avant les repas – une pratique moins fréquente chez les enfants souffrant de malnutrition. Enfin, ces enfants consommaient deux fois plus de repas dans la journée – 4 au lieu de 2. En raison de ces comportements, les enfants bien nourris avaient une alimentation mieux équilibrée que les enfants qui mangeaient des aliments traditionnels et ils étaient moins susceptibles d’avoir des infections.

Mais ce qui a semblé faire la différence est ce qu’on a fait de ces connaissances. Au lieu de dire simplement aux parents de modifier le régime alimentaire de leurs enfants, de les nourrir plus souvent et de leur montrer à se laver les mains, on a conçu un programme axé sur le changement de comportement et élaboré des séances d’alimentation. Mais pour y participer, le parent d’un enfant souffrant de malnutrition devait apporter un des aliments atypiques. Les parents assistaient à la séance avec leur enfant et apprenaient à faire cuire les aliments et à se laver les mains. Les nouveaux comportements ont été retenus et le reste est passé à l’histoire.

Le niveau de malnutrition a fléchi de 85 % en deux ans. Mais il y a plus : les résultats ont été soutenus et transférés aux jeunes frères et sœurs qui n’avaient pas assisté aux séances. L’approche de la déviance positive a été intégrée à des programmes de nutrition dans au moins 40 pays différents, avec de bons résultats.

Grands Défis Canada finance Trang Nguyen Thi Thu, qui perpétue au Vietnam la tradition d’utiliser la déviance positive comme une innovation – mais cette fois en santé mentale. Cela est louable, mais nous avons peut-être besoin d’une approche légèrement différente au problème plus vaste de déterminer comment procéder au déploiement à l’échelle. À Toronto, j’ai eu la chance de faire partie d’un groupe dirigé par Sean Kidd qui a élaboré une approche plus complexe, mais peut être davantage applicable à la santé mentale.

Nous avons demandé pourquoi certains services de santé mentale gérés par la collectivité pour les populations marginalisées à Toronto, au Canada, ont connu du succès, tandis que d’autres ont échoué. Qu’est-ce qu’il y avait à propos du leadership et de la façon dont ils ont été mis en place et exécutés qui permettrait de prédire la réussite et la durabilité? Quelles leçons peuvent en tirer les gens qui songent à financer des initiatives et ceux qui envisagent de les mettre en place? Nous avons identifié des groupes en utilisant une méthode Delphi et avons ensuite entrepris des études de cas qualitatives.

Bien que les organisations étudiées varient considérablement selon la nature des problèmes qu’elles abordent, leur structure organisationnelle et leurs activités spécifiques, il y avait un remarquable degré de similitude entre elles pour ce qui est des ingrédients de base essentiels à leur efficacité et à leur succès. Les cinq facteurs les plus importants étaient :

  1. La ou les personnes menant le groupe étaient les personnes appropriées pour faire face à ce problème particulier.
  2. Au début de son développement, le groupe s’est aligné sur un problème précis et a développé une clientèle, des partenaires et une structure organisationnelle.
  3. Il a appliqué une approche novatrice.
  4. Ses activités sont demeurées concentrées, même si l’organisation avait l’agilité requise pour évoluer avec le temps et en fonction des besoins de sa clientèle et de ses partenaires.
  5. Elle était tout autant une collectivité en soi qu’un service à la collectivité.

Mais cette approche pourrait-elle fonctionner à l’échelle internationale? Nous avons maintenant fait équipe avec Grands Défis Canada et Ashoka pour le savoir. Si nous parvenons à trouver des gens qui ont réussi à élaborer des services de santé mentale et à les déployer à grande échelle dans des pays à revenu faible ou intermédiaire et s’ils pouvaient nous apprendre les secrets de leur réussite, nous serions sur la bonne voie. Si nous avions la possibilité de nous entretenir avec eux, nous pourrions peut-être avoir autant d’impact que Bell.


Pour plus d’information sur la campagne Bell Cause pour la cause, cliquez ici. Sur Twitter, #BellLetsTalk. Suivez l’auteur @CAMHnews ou @kwame_mckenzie.

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