Lettre Annuelle 2016 - PDF (pdf, 2,76 Mo)
En 2010, le Canada est devenu l’un des premiers pays à appliquer l’approche des Grands Défis au développement international en finançant Grands Défis Canada et en mettant l’accent sur l’innovation pour le développement en santé mondiale.
Grands Défis Canada a été créé afin de mettre à l’essai de nouvelles approches pour marier le développement à l’innovation, en recherchant de nouvelles solutions intéressantes à des défis urgents. Nous avons passé les six dernières années à tester, à innover et à itérer. Bien que notre approche demeure un projet inachevé, nous avons beaucoup appris et, ce faisant, nous avons aidé nos innovateurs à développer des solutions qui permettent de sauver et d’améliorer des vies parmi les plus pauvres dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ce qui est peut-être le plus important, nous avons raffiné un modèle qui, pensons-nous, remplit sa promesse : catalyser l’innovation et faire ressortir des Idées audacieuses ayant un Grand Impact.
Par conséquent, j’ai décidé de profiter ma lettre, cette année, pour explorer quelques-unes des idées et des leçons nées de l’expérience de Grands Défis Canada. En particulier, je voulais explorer les idées et les approches qui pourraient aider à éclairer le travail des autres qui recherchent des solutions innovantes à des grands défis ainsi que des résultats mesurables.
D’abord, un bref rappel sur qui nous sommes et ce que nous faisons. Depuis sa création, il y a six ans, Grands Défis Canada, qui est financé par le gouvernement du Canada, a soutenu environ 700 innovations dans plus de 80 pays. Ces innovations ont le potentiel de sauver des centaines de milliers de vies et d’améliorer des millions de vies d’ici 2030. Nous travaillons avec tout un éventail de partenaires, tant au Canada (les Instituts de recherche en santé du Canada, le Centre de recherches pour le développement international, et Affaires mondiales Canada) qu’au niveau international (la Fondation Bill & Melinda Gates, le Global Development Lab de l’USAID, et un réseau d’autres initiatives Grands Défis).
Une évaluation sommative indépendante, menée en 2015, du Fonds d’innovation pour le développement en matière de santé (FID-S), qui fournit du financement à Grands Défis Canada, a conclu que :
L’investissement du gouvernement du Canada dans le FID-S s’est avéré rentable. Investir dans le FID-S demeure pertinent, et le FID-S a produit des résultats significatifs. Ces résultats ont été obtenus économiquement, avec des niveaux acceptables d’efficience dans l’allocation des ressources et un bon niveau d’efficacité opérationnelle.
Ce genre d’affirmation est incroyablement motivant pour notre équipe. Mais ce qui nous enthousiasme encore plus ce sont les personnes, les familles et les communautés dont la vie est transformée par les innovateurs que nous avons le privilège d’appuyer.
De tels résultats, et les récits individuels que nous entendons sur le terrain, nous indique que nous sommes sur la bonne voie et que nous poursuivons les bonnes approches. En pensant plus particulièrement aux décideurs et aux gestionnaires de programmes qui sont toujours à l’affût de modèles qui offrent de réelles promesses, je voudrais souligner les six leçons suivantes que nous avons apprises au cours des six dernières années.
1. Cibler l’investissement sur un Grand Défi
À sa base, une approche Grands Défis est un processus de définition de problèmes (de « Grands Défis »), de création de partenariats pour trouver des solutions, de gestion et de mesure des progrès accomplis. Ses éléments clés sont l’innovation axée sur l’impact, les partenariats et la responsabilité des résultats. Au cours des six dernières années, nous avons lancé – seuls ou en partenariat – des programmes pour relever trois défis ciblés : Sauver des vies à la naissance, Sauver des cerveaux et La Santé mentale dans le monde. Le dernier défi, La Santé mentale dans le monde, cible l’un des problèmes de santé mondiale les plus négligés.
Les troubles mentaux représentent 14 % du fardeau mondial de la morbidité et 75 % de ce fardeau incombe aux pays à revenu faible ou intermédiaire où, en raison de ressources limitées et d’une pénurie de professionnels formés, les personnes qui vivent avec des troubles mentaux ont un accès limité à des traitements fondés sur des données probantes. Même dans les communautés où des traitements sont disponibles, la stigmatisation généralisée que subissent les personnes atteintes de maladie mentale signifie qu’elles sont souvent réticentes à accéder aux soins ou incapables de le faire. Voilà pourquoi Grands Défis Canada a lancé son défi ciblé La Santé mentale dans le monde. En quelques années, ce programme a aidé à faire de la santé mentale une priorité du développement à l’échelle mondiale.
L’impact de ce programme a été reconnu dans un récent rapport d’un groupe parlementaire au Royaume-Uni, intitulé Mental Health for Sustainable Development, qui affirme que :
« Le gouvernement du Canada finance la plus grande filière de projets de recherche en santé mentale dans le monde par le truchement de Grands Défis Canada. »
Plus important encore, des dizaines de milliers de personnes reçoivent actuellement des soins de santé mentale grâce à des innovations financées par Grands Défis Canada, avec le potentiel d’améliorer la vie de centaines de milliers d’autres d’ici 2030.
Ces traitements peuvent grandement améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec des troubles de santé mentale, en leur permettant de fonctionner de manière suffisamment efficace pour accomplir un travail productif, gagner un revenu et prendre soin de leur ménage. L’élément peut être le plus transformateur de ce programme est que les gouvernements nationaux dans les pays à revenu faible ou intermédiaire veulent et sont prêts à investir dans des innovations en santé mentale fondées sur des données probantes susceptibles d’être mises en œuvre à grande échelle. Dans le passé, de telles approches fondées sur des preuves n’existaient pas, mais la situation a changé grâce aux résultats obtenus par ce programme.
Un exemple d’innovation potentiellement transformatrice soutenue par ce programme est le Banc de l’amitié. Dans de nombreuses régions d’Afrique, si vous êtes pauvres et avez une maladie mentale, vos chances d’obtenir un traitement sont presque nulles. Au Zimbabwe, les choses changent grâce au Banc de l’amitié, le premier projet ayant le potentiel de rendre les soins de santé mentale accessibles à toute une nation africaine. L’idée est simple : Créer un espace confortable où les gens peuvent partager leurs problèmes avec des membres de la communauté qui les écoutent avec compassion et qui leur offrent une thérapie de résolution de problème. Créé par le psychiatre Dixon Chibanda, de l’Université du Zimbabwe, en 2006, le projet de Banc de l’amitié rejoindra 14 000 personnes en vue d’atténuer leurs symptômes de dépression et d’anxiété et d’améliorer leur qualité de vie. Le financement de Grands Défis Canada a positionné ce projet pour qu’il devienne le premier modèle de soins de santé mentale en milieu communautaire déployés à grande échelle sur le continent africain. Ce modèle a aussi le potentiel d’être adopté par d’autres pays de la région, conduisant à une transformation dans la façon dont la maladie mentale est diagnostiquée et traitée.
2. Dynamiser la prochaine génération d’innovateurs et d’entrepreneurs sociaux
Un des sous-produits les mieux appréciés de notre modèle a été l’occasion de mobiliser et de dynamiser les vastes ressources, largement inexploitées, des entrepreneurs sociaux, tant au Canada que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. En plus d’attirer toute une nouvelle classe d’entrepreneurs pragmatiques dans la filière de l’innovation, nous avons aussi eu du succès à établir un lien entre des entreprises sociales dans ces pays et des organisations similaires au Canada, favorisant la création de nouveaux réseaux et ouvrant de nouvelles pistes d’innovation.
Le tableau qui suit met en évidence quelquesunes des entreprises sociales canadiennes où le financement de Grands Défis Canada a servi de catalyseur.
Un tableau semblable pourrait facilement être produit pour présenter les nouvelles entreprises sociales dont nous avons appuyé la création dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.
Un autre avantage de l’importance croissante accordée aux entrepreneurs sociaux est la participation accrue d’entreprises dirigées par des femmes.
Actuellement, 50 % de nos investissements de déploiement à l’échelle sont faits dans des organisations dirigées par des femmes, ce qui, en comparaison, est beaucoup plus élevé que parmi les investisseurs de capital de risque ou d’impact. Il y a des distinctions qualitatives importantes entre les entreprises sociales dirigées par des femmes et celles qui sont dirigées par des hommes.
Les femmes entrepreneures apportent des expériences de vie différentes, puisent dans des réseaux différents, et ont tendance à mettre l’accent sur des points différents dans leur travail. Nous avons l’intention d’effectuer une analyse plus approfondie de l’impact du genre sur notre portefeuille d’innovations dans les années à venir, mais sommes encouragés par ce que nous avons pu constater jusqu’à présent.
3. Recruter partout, mais déployer à l’échelle de manière sélective
L’innovation réussie nous oblige à accepter l’échec avec intelligence. Comme notre conseil scientifique ne cesse de nous le rappeler :
« Si aucun de vos projets n’échoue, alors cela signifie que vous n’avez pas été assez audacieux et innovateur au point de départ. »
Cela dit, gérer le risque pour cultiver le succès doit toujours occuper une place centrale dans la conception des programmes d’innovation. Comment garantir que les échecs coûtent peu, surviennent le plus tôt possible dans le processus d’innovation, deviennent des leçons apprises et mènent plus sûrement au succès à l’avenir?
Notre approche de la gestion des risques consiste à rechercher des innovations partout, mais d’être très sélectifs au stade du déploiement à l’échelle. Nous accueillons un large éventail d’idées potentiellement transformatrices en acceptant et en finançant un large éventail d’innovations à l’étape de la démonstration de principe. Cependant, nous devenons très sélectifs dans le choix des innovations qui recevront un investissement supplémentaire, ou de suivi, sur la base de notre évaluation du potentiel qu’elles offrent d’avoir un impact significatif. Nous appelons ce processus d’investissement supplémentaire le « déploiement à l’échelle ». De cette façon, nous réduisons le risque et optimisons les ressources en concentrant les échecs au début du processus d’innovation, lorsque leur coût est limité, pour maximiser la réussite subséquemment durant les étapes plus coûteuses du processus.
Actuellement, nous avons entrepris de déployer à l’échelle environ 7 % des projets complétés dans notre programme Les Étoiles en santé mondiale, et environ 10 % des innovations dans l’ensemble de nos programmes. Qu’advient-il alors des innovations dans notre filière qui ne sont pas déployées à l’échelle par le biais de Grands Défis Canada? Nous avons observé qu’environ 15 % de nos innovations du programme Les Étoiles en santé mondiale sont déployées à plus grande échelle par le biais de canaux et de partenaires extérieurs. Le reste de nos innovations produisent souvent de nouvelles connaissances, des données probantes ou des changements au niveau des politiques, ce qui est précieux en soi.
Avoir accès à une filière suffisamment importante d’innovations de démarrage est essentiel à la réussite de ce modèle. Certaines de ces innovations de démarrage proviennent de nos propres programmes, mais, de plus en plus, nous recherchons aussi des innovations prometteuses dans les programmes de nos partenaires. Le partage des programmes et des possibilités d’innovation peut être facilité grâce à des initiatives comme le Marché de l’innovation Chaque femme, chaque enfant. Ce marché a été lancé en septembre 2015 dans le cadre de l’initiative Chaque femme, chaque enfant et de la Stratégie mondiale pour la santé des femmes, des enfants et des adolescents des Nations Unies. Il est le fruit d’une alliance stratégique d’organisations vouées à l’innovation pour le développement, dont la Fondation Bill & Melinda Gates, Grands Défis Canada, l’Agence pour le développement international des États-Unis et la Fondation UBS Optimus. Bien qu’il y ait un nombre croissant de concepts novateurs de soins de santé au stade pilote initial, un goulot d’étranglement existe aux étapes des « essais critiques » (250 000 $ à 2 000 000 $ pour établir une preuve plus robuste d’un concept transformateur) et du « déploiement à l’échelle » (1 000 000 $ à 15 000 000 $).
Le Marché vise à faire 20 investissements de déploiement à l’échelle d’ici 2020, et de voir au moins dix de ces innovations devenir largement disponibles et avoir un impact significatif sur les femmes, les enfants et les adolescents d’ici 2030.
Pour atteindre ces objectifs, le Marché mène des activités de curation et de courtage. La curation est une analyse comparative des innovations provenant des organisations partenaires, alors que le courtage est le processus d’appariement des innovations prometteuses avec le bon investisseur. Le Marché de l’innovation crée également de la valeur en réunissant des acteurs du secteur privé, de la société civile et du gouvernement pour aider à ouvrir la voie au déploiement à l’échelle des innovations.
4. Mettre l’accent sur les résultats et choisir des partenaires intelligents
Au cœur de l’approche de Grands Défis Canada est le besoin de repérer les innovations les plus susceptibles d’être déployées à l’échelle de façon durable et de catalyser leur réussite. Alors, qu’entendons-nous par réussite? Nous avons appris qu’il est essentiel de mesurer la réussite en fonction des résultats, pas seulement des extrants. Bien entendu, la difficulté est que les résultats d’une innovation n’apparaîtront que plus tard, ce qui les rend difficiles à mesurer avec précision.
À Grands Défis Canada, nous avons abordé ce problème en élaborant une approche qui modélise les résultats potentiels futurs de nos innovations les plus prometteuses.
Comme avec tout modèle, notre approche repose sur un certain nombre d’hypothèses qui nous permettent d’estimer le nombre de vies potentiellement améliorées – un indicateur clé pour Grands Défis Canada – et de vies sauvées. Un exemple de notre approche de la modélisation, que nous avons développé avec le Results for Development Institute (R4D), est illustré dans le modèle suivant, qui estime le nombre de vies potentielles sauvées pour une intervention unique, l’ocytocine inhalée.
Nous élaborons des modèles similaires (environ 70) pour toutes les innovations que nous appuyons à l’étape du déploiement à l’échelle, et nous faisons une agrégation de ces résultats potentiels futurs pour avoir une idée de la façon dont nos investissements actuels peuvent produire l’impact futur que nous recherchons.
Imaginons maintenant une expansion de ce travail, en s’appuyant sur des hypothèses communes et en tenant compte des facteurs économiques et commerciaux, à toutes les grandes organisations et filières d’innovations. Cela nous permettrait de comparer les résultats, d’améliorer l’allocation efficace des ressources et, en définitive, d’optimiser le rendement sur notre investissement.
Ce serait une première étape importante vers un avenir motivé par les résultats pour l’investissement en innovation. Comme nous le disons souvent, « l’innovation est la voie et les résultats sont la destination. »
Ce genre de réflexion deviendra de plus en plus important, étant donné le rôle crucial que jouera l’innovation en vue d’atteindre les objectifs de développement durable fixés. Nous nous sommes engagés à concrétiser cette vision en partageant notre travail sur la mesure des résultats avec nos collègues d’autres organisations et institutions vouées au développement.
En outre, nous obtenons indirectement des résultats par le biais de changements aux politiques dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Prenons l’exemple de l’une de nos subventions dans le cadre du programme Les Étoiles en santé mondiale, qui a révélé que la moitié de la nourriture de rue à Dhaka, au Bangladesh, était contaminée par des agents pathogènes. Le projet a mis en œuvre un programme d’éducation en sécurité alimentaire qui a permis d’améliorer considérablement l’hygiène des mains et réduit la contamination bactérienne. Ces résultats ont été largement diffusés et ont contribué à l’adoption de la Loi sur la sécurité alimentaire de 2013 et de la Loi sur le contrôle de la formaline de 2015.
Une autre façon de dynamiser le modèle est de mobiliser les bons partenaires – que nous appelons « partenaires intelligents » – pour travailler avec nos innovateurs. Nous les appelons partenaires « intelligents » parce qu’ils apportent plus que des fonds au projet; ils apportent un leadership, une gouvernance, des renseignements sur le marché, des connaissances en commercialisation et plus encore.
Toutes les innovations ne peuvent pas ni ne devraient essayer de collaborer avec les mêmes types d’organisations. Ainsi, nous avons trouvé que les innovations sociales prometteuses réussissaient à obtenir du financement d’organisations sans but lucratif et de partenaires du secteur public dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. De même, les innovations techniques et commerciales/ scientifiques réussies ont attiré comme partenaires des investisseurs d’impact et des entrepreneurs sociaux qui ont eu du succès. Ces partenaires jouent un rôle clé en apportant une expertise et une expérience pratique pour aider les innovateurs prometteurs à réussir la transition vers le déploiement à l’échelle de leurs solutions. Bien que des bons partenaires ne soient pas garants du succès, ils peuvent aider à maximiser les chances de viabilité et d’impact durable.
Prenons l’exemple de l’ocytocine inhalée, mentionnée ci-dessus. Les hémorragies postpartum tuent des dizaines de milliers de nouvelles mères chaque année. Même si un remède efficace et bien établie existe – l’ocytocine injectable – il n’est pas disponible pour de nombreuses femmes dans les régions pauvres en ressources, en raison de conditions de manutention et de stockage très exigeantes. L’ocytocine inhalée permet aux patientes de respirer le traitement grâce à un système de distribution en aérosol.
Contrairement à l’injection, l’inhalant ne nécessite pas de stockage à basse température ou l’administration par du personnel médical qualifié, ce qui le met même à la disposition des femmes qui accouchent dans des cliniques mal équipées ou hors d’un établissement médical. Cette innovation, qui a le potentiel de sauver 27 000 vies d’ici 2030, a été développée par l’Université Monash et initialement appuyée par une subvention Explorations Grands Défis et un partenariat Sauver des vies à la naissance : Un grand défi pour le développement.
Cette innovation est désormais sur une voie accélérée grâce à une collaboration suscitée par la Fondation McCall MacBain avec GlaxoSmithKline (GSK), la Fondation Planet Wheeler et Grands Défis Canada. Au-delà de sa contribution financière, l’expertise de GSK dans le développement et la production d’inhalateurs pour l’asthme sera essentielle à la réussite de cette innovation.
Enfin, aucune innovation n’a jamais été déployée à grande échelle avec succès sans que la demande existe sur le marché. C’est pourquoi les partenariats formés à l’initiative des pays sont si importants. Quelques-unes de nos innovations ont fait leur chemin dans les plans de santé de certains pays, ce qui est peut-être le partenariat de déploiement à l’échelle le plus important.
5. Mobiliser de nouvelles ressources pour le déploiement à l’échelle
Les défis en matière de santé mondiale et de développement sont trop grands pour qu’une seule organisation ou même un seul secteur puisse les relever. Certes, pour atteindre des buts aussi ambitieux que les Objectifs du développement durable, les secteurs public, privé et sans but lucratif doivent collaborer pour marquer des progrès. L’approche des Grands Défis permet de fusionner et d’aligner les contributions de la société civile, des gouvernements nationaux et du secteur privé. C’est ce qu’Anne-Marie Slaughter appelle le « gouvernement en tant que plateforme ». Le potentiel de ce type d’approche est mis en évidence dans le récent rapport Toward 2030: Building Canada’s Engagement with Global Sustainable Development, rédigé par Margaret Biggs et John W. McArthur.
Un bon exemple de « gouvernement en tant que plateforme » est le partenariat Sauver des vies à la naissance : Un grand défi pour le développement, qui regroupe six partenaires dont des gouvernements, des fondations et des organismes sans but lucratif, pour relever le défi de la protection des mères et des nouveau-nés et prévenir les mortinaissances dans les pays en développement au cours de la période critique qui entoure la naissance.
Un volet important d’un partenariat réussi est de pouvoir reconnaître et tirer parti de l’avantage comparatif de chaque partenaire.
Nous décrivons l’avantage comparatif unique que nous apportons comme étant la capacité à «négocier des partenariats intelligents qui mobilisent des capitaux privés et des ressources publiques nationales ».
Au cours des six dernières années, nous avons vu aussi que la finance sociale peut jouer un rôle essentiel dans la mobilisation des ressources requises pour faire cheminer des innovations à plus grand échelle. Nous avons néanmoins appris que la finance sociale a le plus d’impact quand elle utilise des fonds publics pour catalyser l’investissement provenant du secteur sans but lucratif, des secteurs public et privé, et des gouvernements nationaux – attirer plutôt que d’évincer l’investissement.
Un exemple de la puissance du financement public pour attirer des capitaux est le Fonds d’investissement en santé mondiale. Un investissement d’ancrage de 10 M$ de Grands Défis Canada a aidé à catalyser un fonds de 108 M$, qui « fournit du financement pour faire avancer le développement de médicaments, de vaccins, de diagnostics et d’autres interventions contre les maladies qui imposent un fardeau disproportionné aux pays à revenu faible ou intermédiaire. À ce jour, le Fonds a fait six investissements dans des entreprises qui déploient à l’échelle des tests de diagnostic rapide (« TDR ») pour le paludisme, la tuberculose, le VIH et d’autres maladies, ainsi que des vaccins contre des maladies comme le choléra et des médicaments pour traiter des affections telles que la cécité des rivières.
Une occasion importante s’offre également pour renforcer le financement provenant des gouvernements nationaux à l’appui d’innovations axées sur le développement. À titre d’exemple, il y a maintenant plus d’une douzaine d’initiatives nationales Grands Défis dans le monde, y compris Grands Défis Inde, Grands Défis Israël et d’autres.
Ces initiatives ciblent un élément clé du plan d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement, car elles encouragent les pays à appuyer leurs propres innovateurs et à mobiliser des ressources nationales pour soutenir des innovations transformatrices en santé. Pour le Canada, elles offrent également une occasion importante de mobiliser des chefs de file de la science et de l’innovation dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, dans ce qu’on appelle parfois la « diplomatie scientifique ».
6. Favoriser l’innovation inverse
Enfin, l’investissement du Canada dans l’approche des Grands Défis a créé une occasion pour ce qu’on a appelé l’« innovation inverse ». Les idées et les innovations qui donnent de bons résultats dans les pays à revenu faible ou intermédiaire – sauver et améliorer des vies et abaisser les coûts – peuvent aussi être bénéfiques pour les Canadiens. Prenons l’exemple du développement d’un protocole de diagnostic « test et traitement » qui utilise un écouvillon rectal pour la prise en charge des maladies diarrhéiques aiguës chez les enfants. Un instrument souple ressemblant à une brosse, « l’écouvillon floqué », mis au point pour la collecte d’échantillons respiratoires, a été modifié par une équipe de l’Université McMaster et le regretté Daniele Triva de Copan, d’Italie, pour servir à la collecte d’échantillons rectaux. Cet écouvillon floqué permet de recueillir des échantillons supérieurs aux échantillons de selles habituels ou à ceux obtenus à l’aide d’un écouvillon de fibre enroulée traditionnel pour la détection d’agents pathogènes pouvant être traités, mais potentiellement mortels, tels que Shigella – tout cela sans délai, gâchis ou biorisque. Et, à un coût très faible par écouvillon, il offre une réponse peu coûteuse à un problème omniprésent.
Cette innovation, développée par des innovateurs canadiens et italiens, a été testée et validée au Botswana, et est maintenant à l’essai dans des collectivités nordiques et éloignées du Canada. Les écouvillons sont utilisés au Nunavut dans le cadre du projet de Surveillance de la gastroentérite à Rotavirus. Les chercheurs espèrent que les informations recueillies grâce aux tests effectués à l’aide d’un écouvillon floqué apporteront des réponses sur la meilleure façon de prendre en charge et de traiter la maladie gastro-intestinale sur le territoire, où les enfants courent un risque de deux à quatre fois plus élevé d’être infectés que dans les autres régions du Canada. Au cours des cinq prochaines années, nous avons l’espoir de trouver un nombre croissant d’innovations qui donnent de bons résultats dans les pays à revenu faible ou intermédiaire et qui pourraient être adaptées pour faire la différence au Canada.
Dernières réflexions
Dans son rapport, Innovation et stratégies d’entreprise : pourquoi le Canada n’est pas à la hauteur, le Conseil des académies canadiennes définit l’innovation comme étant « des façons nouvelles ou meilleures de faire des choses ayant de la valeur… Les ‘inventions’ ne deviennent des innovations qu’une fois qu’elles ont été mises en œuvre de façon pertinente. »
Je crains que, au Canada, nous nous concentrons sur la première partie de cette définition mais pas assez sur la seconde. Si nous voulons réaliser les choses qui comptent pour nous, comme les Objectifs du développement durable et atteindre leurs cibles – il ne suffira pas d’avoir de bonnes idées. Nous allons devoir trouver des façons de déployer ces idées à grande échelle de manière significative et conséquente. Je peux m’imaginer, et j’espère voir réaliser un jour prochain, la puissance de l’approche des Grands Défis pour aider à relever des défis mondiaux dans des domaines comme le changement climatique. En outre, les Objectifs du développement durable sont universels et s’appliquent à tous les pays. Je crois que les leçons de l’approche des Grands Défis peuvent aussi aider à éclairer les politiques et les pratiques nationales en matière d’innovation au Canada et dans d’autres pays.
Avec mes salutations cordiales,
Peter A. Singer, OC
Président-directeur général, Grands Défis Canada
Twitter @PeterASinger
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