Peter A. Singer

Au début de 2003, je me suis retrouvé dans un petit bureau sans affiche à Washington, D.C., avec Harold Varmus, Elias Zerhouni, Rick Klausner, Patty Stonesifer et Elke Jordan. Nous avons commencé à concevoir l’initiative originale Grands défis en santé mondiale, avant l’annonce de cette initiative faite par Bill Gates, à Davos, cette année-là. L’un des grands privilèges de ma vie a été de participer depuis à ce mouvement extraordinaire.

Avec le recul, il est clair pour moi que l’initiative Grands Défis en santé mondiale a été un point tournant qui a changé le cours de la santé mondiale. Avant 2003, il y avait un certain scepticisme devant la proposition que la science de la découverte de calibre mondial avait un rôle légitime à jouer, en dépit du fait que certains des plus grands progrès scientifiques, tels que les vaccins, étaient le fer de lance de l’approche de santé publique en santé mondiale. L’initiative Grands Défis en santé mondiale a, plus que toute autre intervention particulière, établi la légitimité – voire la nécessité – de la science et de l’innovation en santé mondiale.

Photo : Courtoisie de la Fondation Bill & Melinda Gates

Photo : Courtoisie de la Fondation Bill & Melinda Gates

L’initiative Grands Défis en santé mondiale a eu beaucoup de succès, dont certains sont décrits dans le blogue d’accompagnement écrit par Steven Buchsbaum. Il est impossible d’innover sans subir des échecs, et le modèle des Grands Défis a aussi connu sa part d’échecs et, aussi, de nombreuses leçons apprises. Enfin, l’initiative Grands Défis a causé une grande surprise.

L’expérience que nous avons acquise au cours de la dernière décennie a conduit à un ensemble de principes qui sous-tendent l’approche des Grands Défis :

1. Les Grands Défis stratégiques bien articulés servent à la fois à concentrer les efforts de recherche et de développement, et à capter l’imagination et mobiliser les meilleurs chercheurs et innovateurs au monde.

Le modèle des Grands Défis met l’accent sur la recherche de solutions à des problèmes bien définis. L’initiative porte ces problèmes à l’attention des communautés de solutionneurs concernées, tant les personnes que les organisations, et sollicite des approches créatives et avant-gardistes pour aborder des problèmes qui, s’ils sont résolus, pourraient considérablement améliorer le monde dans lequel nous vivons.

2. Les projets sont sélectionnés par appels de propositions publics et transparents destinés à faire ressortir les meilleures idées.

Les programmes Grands Défis ne prétendent pas connaître les solutions aux problèmes de développement les plus pressants dans le monde, mais ils sont prêts à prendre des risques et à investir pour créer de nouvelles solutions. Le modèle des Grands Défis vise à mobiliser de nouveaux solutionneurs ayant des idées fraîches.

3. Les bailleurs de fonds, les innovateurs et les autres parties prenantes collaborent activement pour accélérer les progrès et promouvoir des avancées, en s’assurant qu’ils servent les personnes qui ont les plus grands besoins.

Les secteurs public, privé, universitaire et sans but lucratif doivent travailler ensemble pour accélérer et déployer les innovations susceptibles d’améliorer la vie des personnes les plus dans le besoin.

4. Les projets sont sélectionnés non seulement en fonction de leur excellence scientifique, mais aussi de la probabilité qu’ils atteindront l’échelle et l’impact souhaités.

Les candidats retenus soumettent des projets qui, lorsque leurs chances de succès sont démontrées par la collecte de données rigoureuses, ont le potentiel de servir les plus démunis. Investir dans l’innovation scientifique – ainsi que dans l’innovation commerciale et sociale nécessaire pour accroître l’impact à l’échelle – permettra d’assurer que ces efforts ont le plus grand impact possible en termes de vies sauvées ou améliorées.

5. Les chercheurs et les innovateurs travaillent pour s’assurer que les fruits de leurs projets sont accessibles et disponibles aux personnes les plus dans le besoin.

Promouvoir les liens avec l’industrie, que ce soit en aidant à réunir les secteurs privé et public ou en finançant directement une entreprise, peut créer des entreprises durables et réduire le temps qui s’écoule entre la découverte, le développement, la production et l’impact. Un élément essentiel est d’élaborer des stratégies d’accès mondial pour faire en sorte que les personnes les plus dans le besoin bénéficient des nouvelles solutions.

D’importantes leçons ont été apprises en cours de route. En voici quelques-unes :

Initialement, le programme des Grands Défis en santé mondiale offrait jusqu’à 20M $ pour toutes les subventions. Nous avons appris qu’une approche uniformisée n’était pas la plus sage et que nous devions définir plus attentivement le défi, en débutant prudemment avec une somme de 100 000 $ pour la démonstration de principe avec des jalons précis vers le déploiement à l’échelle. Cette leçon a guidé le lancement du programme Explorations Grands Défis de la Fondation Gates et du programme Les Étoiles en santé mondiale de Grands Défis Canada.

Le besoin d’accorder plus d’attention aux innovateurs des pays en développement qui connaissent eux-mêmes les défis. Ces innovateurs ont eu une meilleure idée des conditions locales qui influent sur le succès du déploiement à l’échelle et la durabilité, y compris l’abordabilité, les canaux de distribution, les normes culturelles locales et ainsi de suite.

Il faut mieux intégrer la science et l’innovation technologique à l’innovation sociale et commerciale. À mesure que les Grands Défis ont évolué d’un cadre uniquement technologique (ainsi, près de la moitié des premiers Grands Défis étaient axés sur des vaccins) vers un cadre privilégiant les bénéficiaires finaux tels que les femmes, les nouveau-nés, les enfants et les filles, il est devenu clair qu’en stimulant l’innovation dans les processus sociaux, commerciaux et financiers, souvent en combinaison les uns les autres et avec la technologie, pourrait produire un impact significatif. À Grands Défis Canada, nous appelons cela l’« Innovation intégrée ».

Enfin, il y a eu une grande surprise – que personne n’a vu venir en autant que je sache : la propagation du modèle Grands Défis ailleurs dans le monde.

En 2008, le Canada devenait le premier pays à mettre de l’avant une approche Grands Défis dans son aide au développement, aboutissant au lancement, en 2010, de Grands Défis Canada. Ensuite, l’USAID a lancé son initiative Grands Défis pour le développement, qui démontre que l’approche peut être appliquée à un large éventail de sujets englobant la santé, l’agriculture, l’énergie, l’éducation, et même la gouvernance et les conflits. La Norvège, la Suède et le Royaume-Uni se sont joints au mouvement dans le cadre de Sauver des vies à la naissance et d’autres Grands Défis, du Global Development Lab et du Fonds mondial de l’innovation. L’Inde et le Brésil ont lancé leurs propres initiatives Grands Défis. Cette année seulement, Israël, l’Afrique du Sud et le Pérou ont lancé des initiatives Grands Défis. La région de l’ANASE envisage également de lancer ses propres Grands Défis.

Déclenché par l’étincelle de Bill Gates il y a dix ans, le modèle des Grands Défis s’est répandu pour devenir un mouvement mondial qui continue de croître. Les défis auxquels nous sommes confrontés dans le monde sont trop grands pour être résolus par une seule organisation ou un seul pays. Les Grands Défis constituent une plateforme où différentes organisations – publiques et privées, du Nord et du Sud, des bailleurs de fonds et des innovateurs – peuvent travailler en partenariat pour résoudre des défis mondiaux. À sa base, la notion de Grands Défis a trait à la gouvernance mondiale de solutions innovantes ayant un impact.

Une occasion immédiate de profiter de cette approche réside dans les objectifs de développement durable d’après 2015. Ceux-ci seront finalisés lors de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2015 et guideront l’action pendant 15 ans, soit jusqu’en 2030. Il est largement reconnu aujourd’hui que l’accent a été mis davantage sur le développement de la stratégie que sur son exécution dans l’élaboration de ces objectifs. La discussion se tourne de plus en plus vers les moyens d’exécution. Il n’y a pas de meilleure plateforme pour résoudre les défis de l’humanité par le biais de l’innovation que l’initiative Grands Défis et ses partenaires.


Ce billet a également été publié sur le blogue Impatient Optimists et rédigé en combinaison avec un blogue du Dr Steven Buchsbaum, intitulé « Comment mesurer le succès des Grands Défis? ».

Nous vous invitons à afficher vos questions et vos commentaires au sujet de ce billet de blogue sur la page Facebook de Grands Défis Canada et sur Twitter @gchallenges.