Grand Challenges Canada


En l’honneur du Mois national de l’histoire autochtone, nous célébrons l’impact de l’Initiative d’innovation autochtone, dont les programmes sont hébergés à Grands Défis Canada. De plus, nous avons invité CanalCanoa à partager le récit de son innovation transformatrice au profit des communautés autochtones de l’Amazonie.

Par Ruth Rosalle, Helen Walsh, Jasmine Lam et James Radner, avec l’équipe de la plate-forme d’apprentissage de Sauver des cerveaux. 

Interview du chaman Casimiron dans le Haut Rio Negro au Brésil
Crédit photo : Rita de Cácia Oenning da Silva, fondatrice et directrice exécutive, Usina da Imaginação

CanalCanoa, une innovation soutenue par Grands Défis Canada via le programme Sauver des cerveaux et développée par l’organisation non gouvernementale (ONG) brésilienne Usina da Imaginação et l’ONG américaine Shine a Light, adopte une approche intentionnellement décolonisée du développement de la petite enfance en Amazonie.

Plutôt que de partir du principe que les communautés autochtones d’Amazonie n’ont pas la capacité de promouvoir le développement des enfants, l’équipe de CanalCanoa a compris que ces communautés ont de riches pratiques d’éducation des enfants qui subissent la pression de l’urbanisation et de la colonisation. Ces traditions encouragent le contact avec la nature, l’apprentissage par la curiosité, le jeu collectif autonome et l’apprentissage des enfants aux côtés des adultes. Les familles comptent traditionnellement des parents dont la langue maternelle est différente, ce qui permet aux jeunes enfants de bénéficier d’un environnement multilingue. Cependant, l’urbanisation et la colonisation peuvent entraver le partage des connaissances et les réseaux sociaux traditionnels; en outre, les politiques et les projets gouvernementaux peuvent créer des tensions avec les approches traditionnelles.

CanalCanoa intervient auprès des communautés autochtones de l’Amazonie pour filmer les histoires, les chants, les pratiques et les réflexions liés à l’éducation traditionnelle des enfants. Les leaders autochtones partagent ensuite les films pour en discuter lors de sessions communautaires démocratiques (appelées ajuris de conhecimento), créant ainsi un espace où les connaissances traditionnelles sont reconnues, réaffirmées et appliquées.

« Ce sont les autochtones eux-mêmes qui ont été les enseignants dans ce processus. »

Rita de Cácia Oenning da Silva, codirectrice exécutive, Usina da Imaginação 

Dans une approche courante de l’« adaptation culturelle », un programme ou un curriculum est conçu dans un contexte culturel étranger ou dominant, et puis modifié pour être mis en œuvre dans un contexte nouveau ou autochtone. L’équipe de CanalCanoa a constaté que l’ajuris de conhecimento inversait effectivement cette séquence. Ici, le « curriculum » est basé sur les connaissances et les pratiques traditionnelles des anciens et des chamans autochtones, qui ont vu le jour dans les zones rurales. En discutant de ce matériel dans l’ajuris, les autochtones des communautés urbaines ont eux-mêmes adapté les approches traditionnelles rurales de l’éducation des enfants afin de pouvoir les appliquer à leur propre vie dans les villes et villages du Brésil.  

Crédit photo : Kurt Shaw, directeur exécutive, Shine a Light

Comme l’a expliqué la leader Tukano Jacinta Sampaio, « Aujourd’hui, nous devons avoir des médecins autochtones qui croient en la médecine et la pensée autochtones. » Lorsque CanalCanoa attire l’attention sur ces notions de la « bonne vie » autochtone, il rend possible un dialogue interculturel avec les politiques publiques : 

« Si vous avez vraiment une perspective décolonisée, cela exige que je dise que l’autre possède un savoir et que l’autre a quelque chose à m’apprendre. » 

Kurt Shaw, co-directeur exécutif, Usina da Imaginação 

Les films et les ajuris de conhecimento sont organisés autour de sept thèmes que les communautés locales considèrent comme prioritaires pour le développement de l’enfant : 1) la grossesse et l’accouchement; 2) l’éveil de l’enfant; 3) la langue et le chant; 4) l’éducation; 5) la protection et les soins; 6) l’orientation; et 7) la santé publique. Chaque ajuri s’ouvre sur une série de courts films d’animation réalisés par des enfants autochtones, portant par exemple sur les mythes et les histoires locales, la préparation des aliments de base ou la fabrication de jouets, d’objets artisanaux et d’œuvres d’art. 

Après ces vidéos d’introduction, le groupe regarde un film de 10 à 12 minutes sur l’un des sept thèmes décrits ci-dessus. Pour renforcer le message du film, des leaders autochtones plus âgés font ensuite part de leurs idées et de leurs expériences sur des sujets tels que leur enfance, ce qu’ils considèrent comme les meilleurs moyens de stimuler et de protéger les enfants, ou la meilleure façon de soutenir les femmes pendant la grossesse et l’accouchement.  

Izoneia Araújo, intellectuelle de Tariana et titulaire d’un diplôme universitaire en biologie qui a travaillé comme éducatrice pour CanalCanoa, a partagé son point de vue :  

« Notre tradition de soins aux enfants commence par les soins prénataux – un chaman et une sage-femme travaillent avec la mère pour préparer son corps et l’endroit où l’enfant sera accueilli dans le monde. Mon père est chaman, et il m’a appris que ces bénédictions protègent le bébé des esprits de la forêt, mais je suis aussi biologiste : le soin que nous apportons à la propreté et aux herbes médicinales protège aussi des bactéries et des maladies. » 

CanalCanoa a montré les sept films à plus de 50 groupes de 10 à 15 parents issus de 24 communautés autochtones, qui les ont visionnés et discutés pendant deux mois. L’évaluation menée à la fin de l’ajuris a fait ressortir des résultats prometteurs dans les trois domaines d’étude choisis pour l’évaluation : 1) la stimulation intellectuelle; 2) la nutrition et les soins de santé; et 3) les relations de soutien. Lors des entrevues, 91 % des participants ont déclaré qu’après l’ajuris ils parlaient plus souvent avec leurs enfants et petits-enfants dans des langues autochtones, racontaient plus d’histoires et chantaient davantage. 

« Je parle nheengatu. Mes petits-enfants ont besoin d’entendre du nheengatu. Mais j’ai toujours parlé avec eux en portugais. Je me suis dit : « Pourquoi est-ce que je parle portugais? Je recommence à parler à ma famille en nheengatu. » 

Eunice Salgado, sage-femme de Baré

Haut Rio Negro, Brésil
Crédit photo : Rita de Cácia Oenning da Silva, fondatrice et directrice exécutive, Usina da Imaginação

« La science de la petite enfance a montré que la culture dominante aurait besoin de plusieurs pratiques que les populations autochtones apprécient : l’attention et le respect des idées des enfants; la qualité dans la nature avec les personnes qu’ils aiment; permettre aux enfants de jouer librement avec leurs pairs sans que leur vie soit contrôlée par un calendrier; et le fait de considérer l’enfance comme précieuse en soi, et non seulement comme une étape sur le chemin vers l’âge adulte. De cette manière, chacun peut constater que la diversité des cultures autochtones apporte quelque chose à tous les enfants et à toutes les familles. »

L’équipe de CanalCanoa