Auteur invité

Par Alyse Schrecongost, consultante indépendante en eau et assainissement, et Sam Parker, directeur, Fondation Shell.


Une bonne toilette est difficile à trouver.

Cela est particulièrement vrai pour les femmes et les enfants des quartiers urbains ou des« bidonvilles » en expansion rapide à travers le monde, où il n’y a pas de réseaux d’égout et où les latrines, lorsqu’il y en a, se remplissent vite.

À Kigali, au Rwanda, on estime qu’environ 700 000 habitants sur les 1,2 million que compte la ville vivent dans des quartiers informels, une situation qui n’est pas très différente de celle de nombreuses autres capitales de pays africains qui arrivent difficilement à composer avec l’urbanisation rapide. Ces communautés ont peu de chance d’être desservies par des égouts compte tenu des immobilisations, de l’eau et de l’énergie nécessaires à leur fonctionnement.

Les habitants de Kigali savent qu’investir dans des latrines domestiques apporte la dignité, la sécurité personnelle et le confort à leur famille. À Kigali et ailleurs dans le monde, des marchés, des promotions et des programmes commencent à aider les résidents à investir dans les « sièges », qu’ils veulent et dont ils ont besoin pour leur famille. S’assurer que ces toilettes demeurent sécuritaires et fonctionnelles pose toutefois un défi beaucoup plus grand et plus complexe que les ménages ne peuvent pas affronter d’elles-mêmes.

Quand les fosses sanitaires urbaines sont remplies, les toilettes deviennent inutilisables. Les contraintes d’espace en zone urbaine ne permettent pas aux ménages de tout simplement creuser une nouvelle fosse. Les fosses remplies doivent être vidées. Et ces déchets doivent aller quelque part.

Dans la plupart des cas, les déchets sont retirés à la main (avec des pelles, des seaux ou, dans les scénarios plus optimistes, avec des outils manuels comme des « pompes Gulper », des « godets » ou des « pilons »), une opération coûteuse pour les ménages. Ce travail est aussi extrêmement dangereux et dégradant pour les travailleurs. Les sites de traitement – s’il y en a – sont trop éloignés et ne sont pas toujours fonctionnels. Alors, où vont les déchets fécaux?

Un examen global des effluents de déchets, ville par ville, montre que presque tous les déchets provenant des installations sanitaires dans les pays en développement sont déversés illégalement et de manière non sécuritaire dans les collectivités à faible revenu – habituellement dans des égouts ouverts ou des fosses peu profondes. Ils débordent ou sont transportés par les chaussures, les mouches, ou d’autres insectes ou animaux nuisibles dans les maisons mêmes qui connaissent enfin la dignité que leur procurent les toilettes domestiques.

Gâteau de boue sortant de la machine de déshydratation de la société Pivot. Le gâteau déshydraté est ensuite transporté vers les serres de l’entreprise pour sécher au soleil.

Gâteau de boue sortant de la machine de déshydratation de la société Pivot. Le gâteau déshydraté est ensuite transporté vers les serres de l’entreprise pour sécher au soleil.

Ce que cela signifie pour les femmes et les enfants?

La santé des citadins pauvres, des femmes et des enfants est disproportionnellement menacée par l’exposition à la contamination par les déchets non gérés des toilettes domestiques. Tragiquement, l’UNICEF estime que la santé et la vie de plus de la moitié des enfants dans le monde sont menacées par des maladies liées à une exposition régulière aux agents pathogènes provenant des déchets humains.

Réfléchissez à cela pendant un moment. Cela signifie que la moitié les enfants à l’échelle de la planète risquent de contracter une maladie débilitante en raison de la mauvaise gestion de l’assainissement. Quelque 760 000 enfants de moins de cinq ans meurent de maladies diarrhéiques chaque année – la deuxième cause de décès en importance chez les enfants de moins de cinq ans.

Comment cela est-il possible ? Les enfants ont tendance à être les plus exposés à la contamination par le jeu et le manque d’hygiène, ce qui entraîne trop souvent la maladie. En moyenne, ces enfants souffrent de diarrhée 4 à 5 fois par an, réduisant leur capacité à absorber les nutriments provenant des aliments, à profiter pleinement des vaccins et à résister aux infections dans l’avenir. Cela peut avoir des répercussions tout au long de la vie, comme un retard de croissance physique et mentale.

Les enfants affaiblis par des épisodes répétés de diarrhée font aussi face à des taux plus élevés de mortalité causée par des maladies opportunistes telles que les infections respiratoires aiguës (IRA). Ensemble, les IRA et la diarrhée représentent les deux-tiers de tous les décès d’enfants dans le monde. Des millions d’autres enfants sont malades, affaiblis ou invalidés par d’autres menaces liées à l’eau et à l’assainissement dont le choléra, le trachome, la schistosomiase et les infections par des vers.

L’impact sur les femmes est à la fois direct et indirect. Outre les incidents diarrhéiques omniprésents, environ 44 millions de femmes enceintes sont atteintes d’ankylostomiases liées à l’assainissement. Prendre soin de nourrissons et de jeunes enfants malades ajoute au fardeau déjà lourd sur le plan de la santé mentale ainsi qu’à la charge de travail physique des femmes et des filles. Il s’ensuit des pertes de scolarité et de revenu.

Ainsi, alors que les familles sont de plus en plus en mesure d’investir dans des toilettes pour leur ménage, elles sont encore incapables de protéger leurs proches des dangers pour la santé liés à un assainissement inadéquat parce que les villes ne facilitent pas encore une bonne gestion des déchets pathogènes provenant de ces toilettes.

Serre et baie de séchage thermique à l’usine de la société Pivot Works. Après le séchage au soleil, le combustible passe dans le séchoir thermique pour assécher encore plus le produit et le désinfecter.

Serre et baie de séchage thermique à l’usine de la société Pivot Works. Après le séchage au soleil, le combustible passe dans le séchoir thermique pour assécher encore plus le produit et le désinfecter.

Alors, que peut-on faire?

La réponse est toujours en préparation. La ville de Kigali élabore actuellement un plan d’assainissement visant à incorporer  pour les systèmes installés localement dans les collectivités formelles et informelles. Kigali fait partie du petit nombre d’administrations urbaines en Afrique subsaharienne qui cherchent à relever ce défi.

Des technologies et des innovations commerciales laissent entrevoir la promesse d’aider les villes comme Kigali à contrer cette redoutable menace pour la santé. Pivot, une nouvelle société, avec l’appui d’un certain nombre de partenaires, dont Grands Défis Canada, cherche à repenser le « traitement des déchets » par la conversion des déchets humains en combustible renouvelable qui serait vendu à des clients industriels comme les cimenteries. La technologie unique de traitement des déchets et les recettes provenant des ventes de combustible pourraient réduire sensiblement la facture énergétique insoutenable du traitement des eaux usées et pourraient permettre de couvrir entièrement les coûts de fonctionnement et d’entretien du procédé de traitement des boues.

Ce qui est encore plus prometteur est le réalignement concomitant des incitations entourant le traitement des déchets. Normalement, une augmentation de la collecte des déchets provenant des de latrines hausse les coûts de traitement pour la ville. Les économies d’échelle du procédé de la société Pivot au niveau de la production de combustible signifient que Kigali verra ses coûts réduits à mesure qu’une plus grande quantité de déchets provenant des toilettes des collectivités pauvres se retrouve à l’usine de transformation. Ce faisant, Pivot déplace le fardeau du coût de l’assainissement au bénéfice des citoyens pauvres des centres urbains.

De gauche à droite, le réservoir de réception des boues fécales, les réservoirs de floculation et le système d’assèchement mécanique à l’usine de la société Pivot Works. Promouvoir un mouvement mondial

De gauche à droite, le réservoir de réception des boues fécales, les réservoirs de floculation et le système d’assèchement mécanique à l’usine de la société Pivot Works.

Promouvoir un mouvement mondial

Grands Défis Canada et la Fondation Shell appuient fortement les Objectifs de développement durable de l’ONU et la Stratégie globale des Nations Unies pour la santé des femmes, des enfants et des adolescents. Ces stratégies insistent sur le fait que les femmes et les enfants ont besoin de plus que des sièges de toilette – elles ont besoin de services d’assainissement.

Un certain nombre de ces objectifs sont liés à l’eau et à l’assainissement. L’objectif de développement durable no 6 est consacré à l’eau et à l’assainissement et précise parmi ses cibles que les déchets sanitaires doivent être « gérés de manière sécuritaire ». La réalisation de l’objectif 6 fera avancer les objectifs en matière de santé, d’égalité des sexes, d’inégalité de climat et d’autres.

La Stratégie mondiale de l’ONU pour l’Initiative axée sur la santé des femmes, des enfants et des adolescents, « Survivre, prospérer et se développer », préconise expressément l’utilisation de modèles et de l’expertise du secteur privé pour élaborer des interventions durables, pouvant être déployées à l’échelle, en matière d’assainissement qui contribuent à améliorer la santé.

Financé par le gouvernement du Canada et voué au soutien d’Idées audacieuses ayant un Grand impactTM en santé mondiale, Grands Défis Canada collabore avec un large éventail de partenaires pour repenser la façon dont ces objectifs peuvent être atteints. À ce jour, Grands Défis Canada a investi plus de 10,7 millions $CAN dans 33 innovations et entreprises axées sur l’assainissement, dont 5,6 millions $CAN pour le déploiement à l’échelle d’innovations visant à garantir aux femmes et aux filles l’accès à des toilettes propres et sécuritaires qu’elles peuvent utiliser – et continuer d’utiliser.

La Fondation Shell, un organisme caritatif indépendant impliqué dans la co-création et le déploiement à l’échelle d’entreprises pionnières qui améliorent l’accès à des produits et services énergétiques modernes, appuie l’appel lancé pour que les villes fournissent des systèmes d’assainissement intégrés qui offrent des avantages sur le plan de la santé. Par son soutien à Factor(E), une entreprise de développement de projets au stade précoce co-créée avec l’Université du Colorado, la Fondation Shell offre à des entrepreneurs au stade initial travaillant à des procédés révolutionnaires de transformation des déchets en énergie, une combinaison unique de capital de risque, de ressources techniques de calibre mondial, et de soutien direct au niveau des affaires pour qu’ils puissent mettre à l’essai leur technologie et accélérer l’expansion de leur entreprise. Cela englobe un soutien critique à une entreprise naissante telle que Pivot qui pourrait changer la façon de faire les choses.

Chaque femme et chaque enfant doivent pouvoir utiliser une toilette qui protège leur dignité et leur santé. Grâce à la collaboration et au soutien, nous pouvons aider des villes offrir « plus que des sièges de toilettes ».

Personnel au site de la société Pivot chargeant du combustible destiné à être livré à un client.

Personnel au site de la société Pivot chargeant du combustible destiné à être livré à un client.


Nous vous invitons à afficher vos questions et vos commentaires au sujet de ce billet de blogue sur la page Facebook de Grands Défis Canada et sur Twitter @gchallenges.