Auteur invité

Jagannath Lamichhane est chroniqueur, militant mondial des droits de la santé mentale et directeur de la Fondation pour la santé mentale au Népal. À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, M. Lamichhane a écrit un blogue à propos de son expérience en visitant The Banyan, une organisation non gouvernementale indienne soutenue par le programme La Santé mentale dans le monde de Grands Défis Canada.


Banyan shared housing residents with health workers.Elle ne pouvait pas se souvenir de son passé. Elle avait du mal à se souvenir de sa famille, de ses amis d’enfance et de l’endroit où elle est née. Elle avait besoin de l’aide de sa propre imagination pour se rappeler de ses origines, avec laquelle elle a perdu contact il y a une décennie. Pourtant, rien ne lui donnait plus grande joie que de parler de sa famille, en vivant chaque jour dans l’espoir d’être réunie avec elle.

Elle m’a dit que ses parents étaient très aimables. Ils ont pris bien soin d’elle. Ils l’ont envoyée dans un pensionnat. Elle a une sœur aînée et un frère plus jeune. Mais à seize ans, elle a eu une dispute avec sa sœur et s’est enfuit de la maison. Cela fait plus d’une décennie qu’elle a perdu tout contact avec sa famille. « Je veux désespérément revoir mes parents, ma sœur et mon frère », me disait-elle.

Sanchi (nom modifié) était l’une des nombreuses femmes à qui j’ai parlé à Chennai qui avaient perdu tout espoir, mais qui ont lentement commencé à refaire leur vie.

Banyan shared housing residents with health workers.Au cours de mes conversations avec les femmes sans-abri éprouvant des problèmes de santé mentale qui ont été sauvées et réhabilitées par The Banyan, une organisation de premier plan en santé mentale à Chennai, en Inde, la caractéristique peut-être la plus marquante que j’ai notée parmi toutes les femmes était le désir de partager leur histoire. Je n’avais pas réalisé à quel point les gens pouvaient se sentir heureux et dignes d’être simplement appelés par leur nom. Je ne pourrai jamais oublier le visage rayonnant de Sanchi la première fois qu’elle m’a dit son nom. « J’ai un nom et mon nom est Sanchi », a-t-elle dit.

À chaque conversation que j’ai eue, je me suis présenté et j’ai ensuite encouragé les participantes à faire la même chose. Je pouvais constater comment chacune d’elle tenait à faire une introduction détaillée. Bien sûr, le nom a toujours eu la priorité absolue.

Sanchi a été violée à plusieurs reprises dans la rue. Elle a passé près de cinq ans à errer sans abri. Elle a été infectée au VIH/sida. Elle a également développé d’autres complications de santé physique et des maladies de la peau. En conséquence, elle a connu naturellement une série de défis émotionnels qui ont entraîné un problème psychotique.

Elle a tout perdu alors qu’elle vivait dans la rue. Personne ne se souciait de son nom ou de son identité. Elle a dit que, pour la société, elle était devenue une femme « folle » et mauvaise. Aux yeux de la collectivité, sa « folie » justifiait la façon dont elle était traitée et aliénée. Dans une ville de 4,5 millions d’habitants, elle était invisible au grand public. Le gouvernement et la classe politique n’ont jamais reconnu sa féminité ou sa vulnérabilité.
L’histoire de Sanchi a une ressemblance frappante avec celle de tant d’autres femmes sans abri ayant des problèmes de santé mentale en Inde – c’est comme si elles partageaient un destin collectif.
Après avoir été prise en charge par The Banyan et sortie de la rue, il a fallu plusieurs mois pour que Sanchi se remette du choc et du traumatisme qu’elle avait subis. Ses yeux semblent toujours exprimer de la peur. Cependant, elle est progressivement devenue plus forte, à la fois physiquement et mentalement. Elle a la possibilité de participer à des programmes de formation professionnelle où elle apprend à faire des sacs, des produits de boulangerie et des articles de décoration pour la maison.

Banyan shared housing residents with health workers.Au début de cette année, lorsque The Banyan, avec le soutien de Grands Défis Canada (qui est financé par le gouvernement du Canada), a lancé une nouvelle initiative communautaire de « logement partagé», cela a donné un nouveau départ à la vie de Sanchi. Elle a été déplacée du centre de santé vers le logement partagé. Au début, elle ignorait si c’était une bonne ou une mauvaise décision de déménager du centre de santé où elle pouvait profiter de la plupart des nécessités de la vie, sauf la liberté, vers l’espace communautaire.

Mais après avoir emménagé dans une maison partagée, la valeur de la liberté humaine est la première chose qu’elle a réalisée. Elle m’a dit : « La liberté de mouvement est la chose la plus importante dont je jouis ces jours-ci ». Je pouvais constater que le sentiment de liberté contribuait effectivement à son rétablissement et à sa confiance en soi – au-delà de tout autre soutien qu’elle recevait. Elle s’est aussi fait de nouveaux amis dans le quartier. Elle sent qu’elle fait partie de sa nouvelle communauté. Elle a dit : « C’est la vraie vie et j’ai finalement commencé à en profiter après une décennie. Ici, j’ai ma propre identité et ma liberté. Certaines personnes me connaissent par mon nom. Je suis invitée à des événements locaux importants. J’ai quelques compétences à partager avec ma communauté et les enfants.

Banyan shared housing residents with health workers. Les gens m’aident à apprendre les compétences sociales essentielles, que j’avais déjà oubliées. Je sens que je suis soignée et aimée par d’autres personnes ici. Malgré quelques exceptions, les gens ne cherchent généralement pas à se distancer de moi. Nous ne sommes pas ignorés en raison de notre état de personne malade. Les gens de la communauté sont très gentils et encourageants pour nous car ils comprennent bien notre réalité ». The Banyan partage les logements entre des résidents et des travailleurs de la santé. Sanchi a ajouté qu’elle ne savait pas combien de temps elle pourrait rester dans la maison, car sans le soutien de The Banyan, elle devra la quitter. Mais maintenant, l’idée même de revenir au centre de santé ou en établissement est déprimante. « Je veux me marier, avoir mes propres enfants, ma maison et un travail. J’aime ma liberté. J’apprécie ma dignité. Pourriez-vous m’aider à trouver quelqu’un de gentil pour m’épouser? », demanda-t-elle.

Cela fait plus de trois mois que je suis revenue de ma visite à Chennai. Mais les visages et les voix de Sanchi et des autres femmes rencontrées restent en moi. Ça me met en colère qu’elles aient été les victimes d’un système social malade, car je sais qu’il n’y à jamais eu rien d’inhumain ou d’anormal chez elles. Ce sont des êtres humains ordinaires, comme nous, mais à qui on a nié depuis si longtemps les possibilités élémentaires et la dignité de vivre une vie enrichissante. Je me remémore souvent ce que Sanchi m’a dit sur le sentiment d’être vulnérable d’être jugée par rapport à son problème. « Je me sens vulnérable quand les gens me traitent avec condescendance. Je me sens vulnérable quand les gens ne m’appellent pas par mon nom. Je me sens vulnérable lorsque mon identité est reliée à la maladie mentale. Je me sens vulnérable quand les gens ne reconnaissent pas mes émotions, mais me vois constamment comme étant anormale et dangereuse pour eux », disait-elle.

Banyan shared housing residents with health workers.Je me souviens des questions avec lesquelles Sanchi m’a laissé à la fin de notre conversation : « Dites-moi monsieur, suis-je anormale? Pourquoi les gens ne m’appellent-ils pas par mon nom? Pourquoi veulent-ils me refuser ma dignité? »

Le thème de la Journée mondiale de la santé mentale de cette année est « La dignité en santé mentale. » The Banyan, soutenu par Grands Défis Canada, continuera d’apporter la dignité aux personnes vivant dans la pauvreté et la maladie mentale en Inde, pour leur permettre de vivre une vie enrichissante en tant que membre utile de leur famille et de leur communauté.


Pour en savoir plus sur The Banyan, visitez le site Web de l’organisme et suivez-le sur Facebook.

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