Auteur invité


Erica McKenzie est chercheuse dans le cadre du projet Épilepsie Bhoutan et travaille avec la chercheuse principale, Farrah Mateen, M.D., Ph.D, basée à l’Université d’Ottawa, à l’Hôpital général du Massachusetts et à l’École de médecine de l’Université Harvard, ainsi qu’à l’Hôpital JDWNR, à Thimphu, au Bhoutan. Erica est étudiante en médecine à l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario.


Marchez dans les rues de Thimphu, la capitale du Bhoutan, et vous rencontrerez des moines bouddhistes drapés dans des robes pleine longueur rouge et orange, conversant un téléphone cellulaire pressé sur l’oreille. Dans ce royaume distant de l’Himalaya, le moderne coexiste avec le traditionnel. Cela est particulièrement vrai pour les soins de santé, où des traitements médicaux modernes sont accessibles aux côtés de thérapies traditionnelles bouddhistes, et des croyances culturelles séculaires sur la maladie cohabitent avec l’adoption enthousiaste des nouvelles technologies de la santé.

Le paysage géographique, économique et culturel du Bhoutan soulève plusieurs défis pour le traitement efficace des problèmes de santé complexes comme l’épilepsie. Il n’y a aucun neurologue et moins de 200 médecins ayant une formation allopathique pratiquent au Bhoutan. Les cas d’épilepsie envoyés en consultation sont principalement traités par le seul département de psychiatrie, à l’Hôpital national Jigme Dorji Wangchuk (JDWNR), à Thimphu. La plupart des 700 000 habitants du Bhoutan vivent dans les régions rurales, et Thimphu est à des jours de distance à pied ou en autobus pour de nombreux patients des villages reculés. Les ressources limitées empêchent l’adoption de technologies de diagnostic coûteuses comme les appareils d’électroencéphalographie (EEG) habituels, qui surveillent les ondes cérébrales et sont un outil de diagnostic standard de l’épilepsie dans le monde développé. Enfin, les croyances traditionnelles considèrent l’épilepsie comme une affliction contagieuse ou spirituelle, entraînant une stigmatisation des personnes atteintes d’épilepsie et une réticence à demander des soins lors de convulsions.

IMG_2593_web

L’EEG sur téléphone intelligent enregistre sans-fil les ondes du cerveau transmises par une tête d’électrode.

Un projet en cours utilise un EEG basé sur un téléphone intelligent pour contourner les difficultés associées à la prestation de soins aux personnes atteintes d’épilepsie au Bhoutan. Le projet Épilepsie Bhoutan a reçu une subvention de démarrage dans le cadre du programme La Santé mentale dans le monde de Grands Défis Canada, qui est financé par le gouvernement du Canada, ainsi que des fonds de la Fondation Thrasher. Le projet est une collaboration entre le département de psychiatrie de l’Hôpital JDWNR au Bhoutan, le Massachusetts General Hospital, la Massachusetts Institute of Technology, l’Université d’Ottawa et l’Université technique du Danemark. Les chercheurs visent à évaluer la faisabilité de l’utilisation de la nouvelle technologie pour diagnostiquer et suivre l’épilepsie, tout en améliorant les connaissances sur les caractéristiques médicales, sociales et culturelles de l’épilepsie au Bhoutan.

L’EEG sur téléphone intelligent est une solution élégante à un problème complexe. Le dispositif, mis au point par Arkadiusz Stopczynski de l’Université technique du Danemark, utilise un logiciel à accès libre et la puissance de calcul des appareils mobiles disponibles commercialement pour enregistrer sans fil les ondes cérébrales transmissent à partir d’une tête d’électrode. Le dispositif coûte moins de 500 $, comparativement à des dizaines de milliers de dollars pour un appareil d’EEG standard, et il est hautement portable, ouvrant la possibilité d’amener l’EEG sur téléphone intelligent jusque chez le patient. L’EEG sur téléphone intelligent est facile à utiliser : contrairement à un EEG standard, qui nécessite l’application de dizaines de fils individuels et des électrodes par un technicien spécialisé, il peut être utilisé sans problème par des agents de santé communautaires ayant reçu seulement une formation de base. L’appareil peut transmettre sans fil les enregistrements EEG sur de longues distances, permettant à un spécialiste en épilepsie d’interpréter l’enregistrement de n’ importe où dans le monde.

Le projet Épilepsie Bhoutan a entrepris le recrutement en juillet 2014, et la réponse de la collectivité a été presque débordante : des patients sont venus des plus lointaines provinces du Bhoutan pour participer et ont rempli les salles du département de psychiatrie de l’Hôpital JDWNR. Parmi les premières participantes à s’inscrire, il y a Pema Tshering (*), une jeune Bhoutanaise souffrant d’épilepsie. Pema avait déjà essayé des thérapies traditionnelles pour ses crises, et elle s’est présentée à sa visite en arborant de petites brûlures circulaires sur son cuir chevelu et son dos, un vestige d’un traitement bouddhiste consistant à appliquer des pièces chauffées au feu sur la peau dans un effort pour soulager les crises.

DSC_0298_web

Plus de 200 participants ont été recrutés pour le projet Épilepsie Bhoutan.

Comme chacun des participants au projet, Pema a passé une entrevue clinique et rempli une série de questionnaires sur les caractéristiques cliniques de son épilepsie, sa qualité de vie, sa compréhension de l’épilepsie, et son expérience de la stigmatisation liée à l’épilepsie. Elle a passé un EEG sur téléphone intelligent et un EEG standard, et ses enregistrements ont été transmis à un spécialiste de l’épilepsie à l’Hôpital général du Massachusetts. Elle a également été soumise à des tests et à une IRM pour dépister la neurocysticercose, une infection parasitaire. A la fin de ce bilan, Pema et l’équipe qui la soignait disposaient d’informations essentielles sur son syndrome d’épilepsie et son traitement a pu être adapté en fonction de ces données de diagnostic améliorées.

À ce jour, plus de 200 participants ont été inscrits au projet Épilepsie Bhoutan. Bien que l’étude se poursuive, nous sommes heureux de partager quelques premières indications qui ressortent du projet :

La prise en charge de l’épilepsie au Bhoutan est actuellement inadéquate :

  • 60 % des participants avaient subi une crise au cours du mois passé, en dépit du fait que 90 % des participants étaient traités avec des médicaments antiépileptiques;
  • 27 % des participants avaient subi des blessures accidentelles liées à une crise d’épilepsie, y compris des accidents de voiture, des brûlures et des fractures.

Les croyances culturelles au sujet de l’épilepsie influencent l’expérience du patient :

  • 48 % des participants ont déclaré croire que le karma ou les actions dans la vie passée ou actuelle pouvaient provoquer l’épilepsie.

Le projet va continuer à prendre de l’expansion en 2015. Le recrutement se poursuit à l’Hôpital JDWNR, à Thimphu, et les prochaines étapes comporteront la mise en œuvre de l’EEG sur téléphone intelligent dans des postes de santé communautaires du Bhoutan rural. Des activités éducatives visant à réduire la stigmatisation liée à l’épilepsie sont déjà en cours. En fusionnant une technologie de diagnostic de pointe à un enseignement tenant compte du contexte culturel, le projet Épilepsie Bhoutan espère jumeler le meilleur de la tradition et de la modernité pour améliorer la vie des personnes atteintes d’épilepsie au Bhoutan.

Liens supplémentaires :


Nous vous invitons à afficher vos questions et vos commentaires au sujet de ce billet de blogue sur la page Facebook de Grands Défis Canada et sur Twitter @gchallenges.