Auteur invité

Nazeem Muhajarine est professeur de santé communautaire et d’épidémiologie à la Faculté de médecin de l’Université de la Saskatchewan et directeur de l’Unité de recherche sur l’évaluation de la santé des populations de la Saskatchewan. Il est l’un de nos innovateurs dans le cadre du programme Les Étoiles en santé mondiale.


Chaque année, au Vietnam, des milliers de jeunes quittent leur maison dans les régions rurales et migrent vers les centres urbains comme Hanoi et Ho Chi Minh-City pour trouver du travail dans les usines fabriquant des produits tels que du matériel électronique, des vêtements, des chaussures et des textiles destinés à l’exportation. Le recensement de la population et du logement de 2009 a révélé que 6,6 millions de personnes ont changé de lieu de résidence entre 2004 et 2009, une augmentation de près de 50 % par rapport aux années 1990. Ce flux de travailleurs migrants est survenu à la faveur de la modernisation et de l’industrialisation rapide du Vietnam, un boom qui a fait passer le pays de l’un des cinq plus pauvres en 1985 à l’une des économies les plus dynamiques dans le monde. Une grande proportion de ces travailleurs migrants sont des femmes, souvent jeunes et, en raison de leur condition de femmes et de migrantes, elles font face à une multitude de défis qui peuvent inclure un revenu moins élevé, le manque de système de soutien familial, de piètres avantages sociaux, et la difficulté à accéder à de l’information et aux services de santé dont elles ont besoin.

Des obstacles institutionnels et des facteurs culturels empêchent ces femmes migrantes d’accéder aux services de santé essentiels et aux connaissances sur la façon de se maintenir en bonne santé dans leur nouvel environnement, particulièrement en ce qui a trait à la santé reproductive et sexuelle. Ces femmes peuvent ne pas se renseigner sur la santé sexuelle parce qu’elles craignent d’être jugées dans leur petit système d’aide sociale, souvent relié à leur collectivité d’origine. Elles peuvent aussi ne pas avoir accès aux systèmes médicaux formels parce qu’elles sont des migrantes, ce qui les rend spécialement vulnérables; ces jeunes femmes, pour la plupart célibataires, sont particulièrement à risque pour les activités sexuelles non protégées et les grossesses non désirées. Les avortements à risque et les IST (y compris le VIH/sida) susceptibles de s’ensuivre si elles n’ont pas accès à de l’information et aux services de santé peuvent être très dangereux pour ces migrantes.

Project 209-01 (3)Pour surmonter ces obstacles, Lan Vu, de l’École de santé publique de Hanoï, au Vietnam, et Nazeem Muhajarine, de l’Université de la Saskatchewan, ont développé le projet mHealth pour les migrants. Le but de cette innovation était d’améliorer la sensibilisation des femmes migrantes aux questions de santé reproductive et aux services de santé qu’elles pourraient utiliser dans leur région. Grâce au soutien financier de Grands Défis Canada, qui est financé par le gouvernement du Canada, le projet a utilisé la messagerie téléphonique mobile, un service d’assistance téléphonique gratuit, un site Web et un forum de discussion ouvert pour créer un système simple et confidentiel qui fournit aux migrantes des conseils en santé reproductive et leur indique les endroits où elles peuvent trouver des services de santé abordables à proximité. Le projet a recruté 482 femmes migrantes, qui ont reçu divers services dans le cadre du projet. Au terme de la période du projet (juin 2013 à juin 2014), les chercheurs ont évalué l’efficacité du système à améliorer les connaissances des migrantes sur la façon de se maintenir en bonne santé.

L’un des services clés du projet a été l’utilisation de messages texte courts (SMS) comme moyen pratique et peu coûteux pour transmettre aux migrantes des informations utiles sur la santé. Un spécialiste de la santé a élaboré 170 messages différents, chacun d’une longueur maximale de 160 caractères, qui ont été envoyés aux migrantes inscrites au projet. Ces messages étaient envoyés environ trois fois par semaine après les heures de travail, couvrant des sujets tels que les IST et le VIH/sida, les contraceptifs modernes, les tests de grossesse précoce, la sexualité sans risque, les soins prénatals et les avortements sécuritaires. Le service SMS est un moyen novateur pour exploiter l’utilisation croissante des téléphones mobiles parmi les populations telles que les femmes migrantes. La brièveté nécessaire de ces messages a également contribué à ce que l’information soit communiquée clairement et simplement et puisse être facilement comprise et retenue. Ces messages peuvent également être diffusés par les clientes à leur réseau d’amis pour qu’ils puissent à leur tour bénéficier de l’information.

Project 209-01 (1)Le service d’assistance téléphonique était une façon de donner, sur demande, des conseils personnels sur la santé et de répondre aux questions des migrantes. Le projet offrait un service d’assistance téléphonique confidentiel et gratuit, 24 heures par jour, 7 jours sur 7, géré par des spécialistes en santé reproductive, ouvert à toute question sur la santé reproductive et la famille aux clientes qui appelaient. Ils ont répondu à 768 appels, venant non seulement de clientes inscrites au projet, mais aussi d’autres femmes qui avaient entendu parler du service d’assistance téléphonique de bouche à oreille. Comme pour le service SMS, les sujets les plus discutés étaient la prévention des IST et les contraceptifs modernes, des questions que les migrantes sentaient peut-être qu’elles ne pouvaient pas discuter avec leurs amis et les membres de leur famille en raison de la pression sociale qui s’exerce sur les femmes au Vietnam pour qu’elles demeurent abstinentes jusqu’au mariage. Grâce à la spécificité du service d’assistance téléphonique, les spécialistes étaient également en mesure de recommander des centres de soins de santé à proximité de la cliente. Comme la plupart des appels ont été faits après les heures de travail, dont quelques-uns tard dans la nuit, le service d’assistance téléphonique a répondu au besoin qu’avaient plusieurs migrantes d’obtenir des conseils urgents ou sans délai. Comme l’a dit une cliente qui a répondu au sondage post-projet, « Les migrants travaillent de très longues heures et les services de santé du gouvernement sont souvent fermés au moment où ils terminent leur travail. Le service d’assistance téléphonique était facilement accessible à tout moment du jour ou de la nuit; tout ce que les clientes avaient à faire était de prendre le téléphone et de composer le numéro ».

Le projet a également ouvert un site Web et un forum de discussion, fournissant de l’information sur le projet et offrant un endroit où les visiteurs pouvaient poser des questions et discuter entre elles de questions de santé reproductive. Cela a permis au personnel du projet de relayer des renseignements plus détaillés sur la santé, ainsi que des photos et des diagrammes pouvant aider à la bonne utilisation de la contraception et à la prévention des IST, ainsi que des cartes montrant l’emplacement des cliniques de santé reproductive dans la région. Cette plateforme a également été utile aux plus jeunes migrantes qui ont généralement plus de facilité à utiliser l’Internet qu’à parler au téléphone. Des clientes ont déclaré qu’elles avaient apprécié l’anonymat du forum, qui leur permettait de se sentir plus à l’aise de poser des questions personnelles. Après que la période du projet, le site est demeuré ouvert comme ressource pour d’autres personnes à la recherche d’information sur la santé reproductive.

Lan Vu with Peter A. Singer from GCC during a visit to Vietnam

Lan Vu avec Peter A. Singer de GDC, au cours d’une visite au Vietnam.

L’évaluation du projet a révélé une nette amélioration des connaissances qu’ont les migrantes inscrites sur les divers problèmes de santé reproductive. Dans les sondages post-projet, les migrantes ont montré une plus grande connaissance des symptômes d’IST, et de la reconnaissance des comportements à haut risque pour le VIH/sida, comme le fait d’avoir des relations sexuelles avec des partenaires multiples sans préservatif (61 % avant l’intervention contre 74 % après l’intervention). Plus de femmes ont donné des réponses correctes lorsqu’on les a interrogées sur les méthodes de prévention du VIH/sida (36 % avant et 62 % après l’intervention). Les migrantes ont montré une meilleure connaissance de la période au cours de laquelle on peut avoir un avortement et où aller pour obtenir une procédure sécuritaire. Sur la bonne utilisation des contraceptifs modernes, les connaissances des migrantes se sont grandement améliorées. À l’origine, seulement 37 % des clientes ont démontré une bonne compréhension de la façon d’utiliser correctement un préservatif, la proportion augmentant à 63 % après l’intervention. Les efforts du projet pour utiliser des méthodes innovantes (telles que la messagerie SMS, le site Web et le service d’assistance téléphonique gratuit) ont été fructueux pour rejoindre les migrantes, en fournissant de l’information d’une manière pratique et conviviale pour les migrantes.

Le projet a prouvé que le modèle mHealth constitue un système viable pour fournir de l’information sur la santé aux populations à risque, de manière confidentielle et pratique et au moment opportun. Pour l’avenir, les chercheurs ont déterminé qu’une intervention similaire était requise pour d’autres populations migrantes dans la région, comme celles qui se trouvent à l’extérieur des zones industrielles, et qu’il serait nécessaire d’élargir la gamme des sujets traités au-delà de la santé reproductive, pour englober la santé mentale, la nutrition et la lutte aux toxicomanies. Idéalement, ce projet et d’autres adaptant ce système continueront d’être mis en œuvre au Vietnam et ailleurs dans le monde pour sensibiliser les gens qui n’ont pas accès aux renseignements dont ils ont besoin sur des questions de santé vitales.


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