Auteur invité


Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme, Grands Défis Canada a choisi de mettre en évidence des femmes Innovatrices qui aident d’autres femmes à surmonter les difficultés et les problèmes auxquels elles sont confrontées.

Vandana Gopikumar (à gauche) est la co-fondatrice et directrice-fiduciaire de The Banyan. Lakshmi Narasimhan (à droite) est associée de recherche à The Banyan. Ces deux femmes dirigent un projet dans le cadre du programme La santé mentale dans le monde, de Grands Défis Canada, qui offre des espaces de vie alternatifs dans des collectivités urbaines et rurales à des femmes vivant avec des troubles mentaux et une déficience intellectuelle de modérée à sévère, et qui se retrouveraient autrement sans abri ou placées dans des établissements à long terme. Dans ce blogue, Vandana et Lakshmi racontent les histoires de deux femmes qui bénéficient de l’appui unique offert par cette innovation.


Suhasini (*) se souvient de la première fois qu’elle a vécu ce qu’elle appelle « la perte de son esprit ». C’était à la fin de l’été, au Rajasthan, en Inde. A cette époque, Suhasini vivait avec son mari, sa belle-mère et ses enfants dans le quartier des officiers de la station de la force aérienne. Un « aandhi » (en hindi, une tempête de poussière), faisait rage dans la région. Les vents hurlants et tourbillonnants à l’extérieur étaient le reflet de la douleur qu’elle ressentait à l’intérieur, laquelle s’est soudainement extériorisée parce qu’elle ne pouvait plus la supporter. Pendant des années, ses aspirations avaient été systématiquement écrasées par un conjoint et une belle mère abusifs. Son désir d’éduquer ses filles a été tourné en dérision et interprété comme de l’insolence. Brisée et malade, Suhasini à séjourné dans plusieurs hôpitaux et vu plusieurs médecins avant d’être finalement abandonnée à Chennai. Dans cette ville, elle est venue en contact avec le Transit Care Centre, un service institutionnel multidisciplinaire dirigé par The Banyan, un organisme sans but lucratif basé en Inde. Pourtant, son rétablissement à cet endroit a été marqué par l’incertitude au sujet de ce qui lui arriverait ensuite. Incapable de retrouver sa famille, mais incertaine devant l’idée de vivre de façon autonome dans la collectivité en raison de son âge, elle a souvent réfléchi sur ses perspectives.

Contrairement à Suhasini, peu est connu du passé de Saroja (*). Les dix dernières années de sa vie ont été passées dans les affres de la schizophrénie paranoïde au Transit Care Centre. Les efforts persistants de l’équipe clinique pour l’aider à se rétablir au cours de la dernière décennie n’ont amené que peu ou pas de changement. Sa vie s’est réduite à s’assoir dans un coin de l’établissement, crachant de façon répétitive, vivant dans la crainte d’un la contamination corporelle, murmurant à elle-même, et complètement désintéressée par les soins personnels ou les relations sociales. Devant l’absence de progrès dans sa guérison et incapable de retracer sa famille, l’équipe de The Banyan s’est retrouvée à rechercher des solutions pour sécuriser ses besoins de soins de longue durée.

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Bienvenue à la maison

L’itinérance et la maladie mentale combinées représentent un ensemble complexe de défis qui requièrent des réponses tout aussi complexes. De notre expérience de la gestion du centre de transition, nous croyons que les lits d’hôpitaux servent les besoins de soins de courte durée et peuvent faciliter la récupération, avec une éthique et des valeurs centrées sur l’utilisateur. Cependant, des personnes différentes ont besoin de solutions différentes et il y a une grande variété de choix à faire sur la voie du rétablissement. La majorité des femmes sans-abri souffrant de maladie mentale qui ont accès au Transit Care Centre de The Banyan choisissent finalement de retourner dans leur famille ou leur communauté d’origine, et elles sont accompagnées dans leurs efforts de réinsertion. Pour certaines, comme Suhasini et Saroja, ce n’est pas une option faisable. Parfois, les familles hésitent à accueillir ces femmes; dans d’autres cas, les familles ne peuvent être retracées. D’autres femmes, par contre, choisissent de ne pas retourner dans leur famille. Au cours des vingt années où nous avons dirigé le centre de rétablissement transitoire, nous avons constaté que près de 10 % des femmes ne quittent pas l’établissement. La situation est plus urgente à d’autres endroits, tels que les hôpitaux psychiatriques, qui sont le plus souvent les seuls établissements ouverts aux personnes sans-abri souffrant de maladie mentale : on estime que 38 % des personnes vivant dans ces établissements y restent pendant un an ou plus (Atlas de la santé mentale 2011, Organisation mondiale de la Santé).

Avec le soutien de Grands Défis Canada, The Banyan a commencé à offrir des logements partagés pour répondre aux besoins des femmes qui requièrent des soins de longue durée. The Banyan a réussi à concevoir des modalités de vie autonome dans lesquelles un groupe de femmes partagent le loyer et d’autres responsabilités d’une maison. Ce modèle a été élargi pour y inclure des services de soutien, tels que du personnel sur place et la prise en charge des cas plus lourds, qui peuvent être nécessaires pour des femmes comme Saroja, qui a de plus grands besoins cliniques, ou Suhasini, qui a des besoins de soins sociaux continus.

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Des résidents regroupés autour d’un téléviseur

Home Again, une intervention axée sur le logement offrant des services de soutien, est perçue comme une solution abordable et viable pour offrir des soins de santé mentale à long terme. L’intervention vise à fournir des pistes de réadaptation aux personnes dans des espaces institutionnels, à améliorer leur qualité de vie, les résultats sur le plan de la santé mentale et leur capacité de fonctionner au sein de la collectivité, tout en respectant les droits humains. Ces foyers sont répartis dans des villages ruraux et des secteurs urbains, à proximité des autres services de The Banyan. Les femmes y vivent au sein d’un groupe d’affinité (une famille formée). Certaines ont leurs enfants, qui fréquentent les écoles voisines et jouent avec les autres enfants du quartier. Recréer un milieu familial offrant un soutien mutuel et de l’amitié dans un contexte de solidarité, de stabilité et de soutien par les pairs les encourage à poursuivre leurs activités, importantes ou modestes. Aller au travail, parler à des voisins, effectuer des transactions avec des fournisseurs locaux, décorer leur maison, visiter régulièrement des lieux de loisirs et de culte, apprendre quelque chose de nouveau – tout cela et plus remplit leur vie.

En 2013, Suhasini à emménagé dans une de ces maisons louées par The Banyan avec un groupe de quatre autres femmes, à Perur, un petit hameau de pêche situé à cinquante kilomètres au sud de Chennai. Elle est le pivot de cette nouvelle maison, une leader et une facilitatrice auprès de ses pairs. Pour augmenter ses revenus, elle travaille au Bistro, une entreprise sociale gérée par des femmes autrefois sans-abri et souffrant de maladie mentale. Occupée à vaquer aux activités de la vie quotidienne, allant de prendre soin d’elle-même, à magasiner et à explorer des loisirs, Suhasini affirme que, dans le processus d’habiliter d’autres femmes comme elle ayant de plus grands besoins cliniques, elle a finalement trouvé sa voie.

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Un moment de réflexion

Dans la même veine, un an plus tard, Saroja a emménagé dans sa nouvelle maison avec un groupe de pairs et un coordonnateur des soins installé sur place. Dans un espace non contraint par un horaire, elle a trouvé lentement le rythme requis pour s’engager dans des activités de la vie quotidienne à son propre rythme. Au fil du temps, la maison est devenue un espace partagé de confort, avec des responsabilités, des choix et des relations interpersonnelles. En parlant avec d’autres membres de la famille et au fil des visites sociales des gestionnaires de cas et d’autres membres du personnel The Banyan, Saroja à repris lentement sa capacité d’établir des liens, d’échanger et former de nouvelles amitiés. L’approche personnelle de la maison lui a permis d’explorer et d’utiliser différentes pièces, de la cuisine à son propre espace pour dormir, sans être confinée dans un coin. Elle a commencé à prendre soin de son espace personnel, participant aux tâches ménagères quotidiennes avec ses pairs et le coordonnateur des soins. Aujourd’hui, Saroja est heureuse de faire partie du petit nid qu’ils ont construit, avec des obligations et des aspirations. Elle avoue : « J’ai emménagé dans notre nouvelle maison il y a six mois, mais je dois dire qu’à cet endroit, je me sens plus en sécurité et il y règne un sentiment d’appartenance. Je suis capable de faire un travail plus régulier qu’auparavant. Cet endroit est moins encombré et j’aime demeurer ici ».


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