Auteur invité

Ophira Ginsburg, M.Sc., M.D., FRCP (C), scientifique, professeure adjointe de médecine et de santé publique, Institut de recherche du Collège des femmes, Université de Toronto. Ophira est une innovatrice dans le cadre du programme Les Étoiles en santé mondiale (ronde 2).


Mardi, le 4 février, est la Journée mondiale du cancer. Cette journée a une signification particulière pour les millions de personnes dans le monde dont la vie a été touchée par le cancer. C’est donc un bon moment pour nous demander : Comment le cancer m’a-t-il touché personnellement? Ou touché des gens que j’aime?

Au Canada, une personne sur trois contractera un cancer au cours de sa vie, et cette maladie va emporter une personne sur quatre (Statistiques de la Société canadienne du cancer, 2013). En fait, le cancer est actuellement la principale cause de décès au Canada. Aussi triste que cela puisse être, nous allons prendre un moment aujourd’hui pour examiner la situation d’un homme, d’une femme ou d’un enfant dans un pays à revenu faible ou intermédiaire qui, dans l’année qui vient, entendra prononcer le mot « cancer ». En 2012, il y a eu 14,1 millions de nouveaux cas de cancer, 8,2 millions de décès dus au cancer, tandis que 32,6 millions de personnes vivaient avec le cancer (Globocan, 2012). C’est plus que le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme combinés. Chaque année, 200 000 plus de femmes meurent du cancer du sein ou du col utérin que de complications suivant la grossesse ou l’accouchement. Partout dans le monde, du Bangladesh au Brésil, dans les pays à faibles ressources sur tous les continents, le cancer figure maintenant parmi les principales causes de décès prématuré et d’invalidité. Alors, est-ce que quelqu’un parmi nous peut vraiment dire que le cancer ne nous affecte pas tous?

Pour les femmes qui vivent dans ce qu’on appelle le « monde en développement », il y aura peu d’accès à des services de prévention ou de détection précoce du cancer du col utérin, à un bon diagnostic ou à une chirurgie de bonne qualité pour un cancer du sein et, pour tous les gens ayant d’un cancer avancé, peu ou pas chance de réduire la douleur et la souffrance. Dans de nombreux pays, les mythes à-propos du cancer, les tabous sur le corps féminin et l’inégalité des sexes créent encore plus d’obstacles à la recherche de soins médicaux appropriés lorsqu’elles ont un symptôme au sein.

Loin de vouloir accabler, démoraliser ou déprimer ceux qui lisent ces lignes, je voudrais plutôt vous faire part de quelques bonnes nouvelles. Beaucoup peut être fait pour réduire ce que Felicia Knaul et d’autres appellent la « fracture du cancer ».

En fait, il y a plusieurs raisons d’espérer! Les occasions abondent de réduire les chances de contracter certains cancers, de détecter tôt certains cancers communs alors que des interventions de bonne qualité et relativement peu coûteuses comme la chirurgie peuvent sauver des vies, et d’atténuer la douleur et la souffrance qui accompagnent un cancer avancé. Du côté de la prévention, la fiscalité et les autres politiques visant à aider les gens à arrêter de fumer et à prévenir que les jeunes ne commencent à fumer sont des moyens efficaces pour réduire l’incidence du cancer du poumon et d’autres cancers liés au tabac. Des efforts similaires pour réduire l’usage nocif de l’alcool peuvent réduire les chances de développer de nombreux cancers, et la vaccination des jeunes filles contre le VPH peuvent réduire considérablement le risque de cancer du col utérin. Trois des cancers les plus fréquents (cancer du sein, du col de l’utérus et cancer colorectal) peuvent être traités efficacement et à moindre coût s’ils sont détectés tôt. Pour les personnes atteintes d’un cancer avancé, le contrôle inadéquat de la douleur peut et va devenir une injustice du passé. Le prochain volume sur les priorités en matière de contrôle des maladies (DCP-3) traitant du cancer décrira certains éléments de preuve à l’appui de ces approches, avec un accent particulier sur les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Grâce à Grands Défis Canada, qui est financé par le gouvernement du Canada, les innovateurs et les fournisseurs de soins de santé dans les pays en développement peuvent tirer parti du programme Les Étoiles en santé mondiale pour mettre à l’essai des approches novatrices en vue de réduire la fracture du cancer dans leurs propres contextes, tout en offrant de nouveaux modèles de prévention, de traitement et de soins qui pourraient profiter à des gens bien au-delà de leurs frontières.

Cours de formation de trois jours pour les agents de santé communautaires (Khulna, juin 2012)

Photo : Cours de formation de trois jours pour les agents de santé communautaires (Khulna, juin 2012)

Pour ne citer qu’un exemple de la façon dont une subvention de Grands Défis Canada peut aider à modéliser des solutions pour soigner et lutter contre le cancer dans les pays aux ressources limitées, je suis heureuse de partager les résultats de notre projet financé par Grands Défis Canada au Bangladesh rural, récemment publié dans The Oncologist, « Un modèle de télésanté visant à hausser les visites en clinique pour les symptômes mammaires au Bangladesh rural : Combler le fossé numérique peut-il aider à réduire la fracture du cancer? »

Au cours des 18 derniers mois, notre équipe au Bangladesh a procédé à l’essai randomisé contrôlé d’une intervention auprès de la population de la division de Khulna, au Bangladesh, pour vérifier si les agents de santé communautaires (ASC) munis de téléphones intelligents et de nos « applications » sur mesure pourraient effectivement et efficacement « dépister des cas » et amener les femmes présentant des symptômes mammaires non diagnostiqués à se rendre à notre clinique locale. Les ASC du groupe 1 ont reçu des téléphones intelligents avec nos applications spéciales pour aider les travailleurs de la santé à orienter les entrevues, à présenter une vidéo de motivation (comprenant des témoignages de femmes qui avaient visité notre clinique), à effectuer un examen des seins chez les femmes ayant signalé un problème et offrir un rendez-vous en clinique aux femmes dont l’examen des seins avait révélé quelque chose d’anormal. Les ASC du groupe 2 ont reçu les mêmes téléphones et applications intelligentes, plus une journée supplémentaire de formation axée sur « l’orientation des patients » et visant à surmonter les obstacles sociaux, culturels ou logistiques potentiels à la recherche de soins. Les ASC du groupe 3 constituaient le groupe de contrôle, sans téléphone. Ils ont mené la même entrevue et offert un examen des seins comme pour les groupes 1 et 2, mais étaient seulement équipés d’un stylo et de papier pour consigner des données et proposer un rendez-vous.

En juin 2012, nous avons recruté et formé 30 ASC, de jeunes femmes ayant une éducation secondaire et de bonnes compétences en littératie, pour effectuer des entrevues porte-à-porte et des examens mammaires. Nous avons aussi embauché trois femmes ayant fait des études universitaires et possédant de l’expérience comme superviseures d’ASC. Elles relevaient de notre équipe de gestion des opérations sur le terrain dans le district de Bagerhat, où la zone d’intervention de l’étude avait déjà été délimitée, et ont été réparties en fonction de la proximité de la clinique et de facteurs sociodémographiques et autre. En seulement quatre mois – deux mois plus tôt que prévu – les ASC ont interrogé plus de 22 000 femmes. Par rapport aux ASC qui n’avaient pas de téléphone intelligent (groupe 3), celles qui avaient un téléphone intelligent (groupe 1) étaient plus efficaces à promouvoir la santé mammaire et à encourager les femmes ayant un symptôme de cancer du sein à se rendre à la clinique ou à l’hôpital public local. Les ASC ayant reçu une formation supplémentaire en « orientation » (groupe 2) ont mieux réussi à inciter les femmes montrant un examen mammaire anormal à rechercher des soins.

À notre connaissance, il s’agit de la première cette étude à suggérer que dans les milieux n’ayant qu’une infrastructure minimale de lutte contre le cancer, une équipe multidisciplinaire établie localement peut améliorer les soins du cancer du sein et aider à surmonter les obstacles à la recherche d’un avis médical.

Cours de formation de trois jours pour les agents de santé communautaires

Photo:  Cours de formation de trois jours pour les agents de santé communautaires

Maintenant, comment pouvons-nous partir de ce que nous avons appris pour produire un plus grand impact en vue d’atténuer les souffrances et de réduire les décès dus au cancer du sein au Bangladesh? Alors que nous élaborons un plan pour améliorer le modèle et l’adapter au reste du pays, nous élargissons nos partenariats locaux et partageons plus largement nos observations. En novembre 2013, j’ai présenté le projet à la conférence biannuelle de l’Organisation africaine pour la recherche et la formation sur le cancer (OAREC) à Durban, en Afrique du Sud. Notre modèle a suscité beaucoup de discussions et d’enthousiasme à mettre à l’essai des projets similaires en Afrique sub-saharienne, et des plans sont actuellement en cours pour aider une chirurgienne du sein de Nairobi, au Kenya, à adapter le modèle à son milieu péri-urbain.

Par conséquent, en l’honneur de toutes les personnes touchées par le cancer, peu importe où elles vivent, travaillons ensemble pour dissiper les mythes, partager le savoir et produire un impact réel afin de refermer la fracture du cancer! Voyez ce qui se passe dans votre collectivité en cette Journée mondiale du cancer et signez la Déclaration mondiale contre le Cancer!


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