Peter A. Singer

Le 30 mai 2013, le Groupe d’experts de haut niveau sur le programme de développement post-2015 a publié son rapport sur les objectifs de développement après 2015. Dans l’ensemble, le groupe d’experts devrait être félicité pour aller vers l’avant dans un domaine très difficile.

Ma première réaction au rapport a été qu’il constitue un véritable smorgasbord. Je dis cela positivement (beaucoup de gens dans les pays scandinaves apprécient un bon smorgasbord). Avec 12 objectifs illustratifs et 54 cibles, le rapport offre quelque chose à (presque) tout le monde. GAVI aime la cible de l’immunisation. Girls Not Brides aime la cible visant à mettre fin au mariage des enfants. GAIN aime la cible de la nutrition. Save the Children aime la cible de la survie des enfants. Je pense que vous voyez l’idée. Pour être juste, ces objectifs sont louables, et certains – comme l’objectif unique sur le genre (avec ses cibles connexes) – sont visionnaires. Le rapport élargit le champ d’application des objectifs de développement pour y inclure la gouvernance et l’économie, ce qui est un correctif nécessaire.

Ce point fort du rapport est probablement aussi son principal défaut. En offrant quelque chose à tout le monde, il est difficile de saisir précisément le fondement du rapport. Ses auteurs diraient probablement que, sur le fond, ce rapport vise à lutter contre les inégalités. C’est là l’un des cinq changements transformationnels destinés à signaler les priorités, mais qui n’est que vaguement relié aux objectifs qui nous préoccupent tous et qui retiendront l’attention. Il y a une section très importante qui souligne qu’un objectif est atteint uniquement lorsque personne n’est laissé derrière. Le rapport a aussi été critiqué pour l’absence d’objectif sur l’inégalité et sa mesure, mais je ne partage pas cette critique puisque j’ai pu constater qu’une politique ciblant le quintile le plus pauvre pouvait entraîner un changement social en profondeur dans des pays comme le Brésil.

Ma plus grande déception est l’absence de tout récit réel ou théorie du changement portant sur la façon dont les objectifs se compléteraient – comment le tout peut dépasser la somme des parties – dans le rapport. Pour un exemple de tel récit, veuillez regarder la vidéo que j’ai publiée au début de mars.

En outre, pour un rapport axé sur les inégalités, il a raté la marque en ne faisant pas explicitement référence au facteur fondamental qui perpétue les inégalités entre les générations : le développement de la petite enfance. Il y a de plus en plus de preuves que les 1000 premiers jours de développement du cerveau d’un enfant influent fortement sur la probabilité que cet enfant atteigne son plein potentiel. Le développement précoce du cerveau a été associé à la réussite scolaire et à la pauvreté. Malgré son importance, le rapport n’en fait aucunement mention et ne met pas explicitement l’accent sur cette question cruciale.

Le rapport aborde certains risques pour le développement précoce du cerveau et, à ce titre, l’accent mis sur le ralentissement de la croissance causé par la malnutrition et sur l’éducation précoce est louable. Mais il a raté la cible – et une occasion importante – en ne traitant pas clairement du développement des jeunes enfants et de la possibilité primordiale de sauver des cerveaux.

Quelques autres omissions devraient être faciles à corriger. Par exemple, le rapport fait mention des maladies non transmissibles, mais ne traite pas explicitement de la santé mentale dans le monde, qui représente 13% du fardeau mondial de la morbidité.

Comme l’attention se déplace du « quoi » au « comment » des objectifs de développement post-2015, le partenariat mondial envisagé dont le rapport fait mention prendra une importance croissante. Ici, les notions d’Anne-Marie Slaughter de « gouvernance en réseau » et « gouvernement en tant que plate-forme » seront très utiles. L’approche des Grands Défis est une instanciation de ces notions en santé mondiale et en développement. Dans d’autres blogues récents, je décris comment l’approche des Grands Défis peut être appliquée pour aider le monde à résoudre ses grands problèmes et comment un Grand Défi résolu peut être considéré comme l’équivalent d’un objectif post-2015 atteint. L’approche des Grands Défis privilégie l’innovation ayant un impact – un ajout nécessaire pour le rapport du Groupe d’experts de haut niveau qui, comme les OMD à l’origine, fait peu de cas de la puissance de l’innovation et de l’entrepreneuriat social pour faire du monde un endroit meilleur.

Quelle est la prochaine étape? Au bout du compte, l’Assemblée générale de l’ONU devra approuver un ensemble d’objectifs de développement post-2015. Au cours des deux prochaines années, j’espère que les aspects fondamentaux de ces objectifs deviendront plus clairs, avec un accent accru sur le développement du cerveau des enfants au cours des 1000 premiers jours, car cela est l’un des principaux facteurs qui perpétuent l’inégalité. En outre, certaines omissions (comme la santé mentale dans le monde) pourraient être ajoutées pour compléter la liste des défis. Enfin, si nous nous intéressons à l’exécution, nous devrons mettre l’accent sur les partenariats mondiaux existants qui donnent de bons résultats, comme l’approche des Grands Défis.

Je tiens donc à remercier le Groupe d’experts de haut niveau. Sa tâche était difficile et il a fait avancer la discussion. Mais il reste du travail à faire pour en arriver à définir les objectifs de développement post-2015, qui n’est bien sûr que la ligne de départ pour les atteindre en réalité!