Peter A. Singer

Au cours de la dernière décennie, nombre de penseurs influents dans le monde ont exprimé leurs préoccupations devant l’incapacité des mécanismes classiques de gouvernance de résoudre des défis mondiaux complexes et en évolution rapide. Anne-Marie Slaughter, professeure de politique et d’affaires internationales à l’Université Princeton et ancienne directrice de la Planification des politiques au Département d’État des États-Unis, a inventé l’expression « gouvernance en réseau » pour décrire la trame émergente et complexe de collectivités et de réseaux qui échangent des connaissances et coordonne leurs activités au-delà des frontières nationales pour s’attaquer à ce genre de défis. S’inspirant de cette notion dans un article récent paru dans l’édition britannique de Wired (lien ici), la professeure Slaughter affirme que l’idée politique maîtresse de 2013 est le « gouvernement en tant que plateforme » – où les gouvernements fournissent des outils élémentaires pour faciliter l’innovation et l’auto-organisation parmi les citoyens.

D’autres ont aussi adopté cette notion de réseau. Jean-Francois Rischard, ancien vice-président de la Banque mondiale, a soutenu que les méthodologies et les institutions classiques de gouvernance ne sont pas à la hauteur de la tâche de repérer et de résoudre des problèmes sociaux complexes comme ceux rencontrés en santé mondiale, parce qu’elles sont trop rigides pour permettre le genre de coordination et de coopération requises pour s’attaquer à de tels défis. Plutôt, il préconise ce qu’il appelle la gouvernance réseautée, qui repose sur deux principes clés : 1) que la participation à tout nouveau mécanisme de résolution de problème (ce qu’il appelle les « réseaux de problèmes ») soit fondée sur les connaissances et la capacité de contribuer à la solution; 2) que ces nouveaux mécanismes puissent intervenir rapidement et soient orientés vers l’action.

Andy Sumner et Richard Mallett affirment dans un article récent sur un blogue du Guardian (tiré d’un ouvrage à paraître) que nous entrons dans une nouvelle ère du développement mondial, où il y a beaucoup moins de pays « pauvres » pays et où la très grande majorité des pauvres du monde se trouvent concentrés dans les pays à revenu intermédiaire. Ils parlent de cette évolution en termes de passage de l’Aide 1.0, où l’accent était mis sur le transfert de ressources, à l’Aide 2.0, qui privilégie l’action collective telle que le développement de biens publics mondiaux cofinancés et le partage /transfert de connaissances pour relever des défis d’envergure mondiale.

Prises ensemble, ces trois notions et d’autres fournissent un nouveau cadre convergeant pour résoudre des problèmes mondiaux complexes. Bien qu’elles ne soient pas mutuellement exclusives, Slaughter insiste sur les acteurs provenant des différents secteurs qui sont requis pour surmonter ces défis, Rischard insiste sur les défis ou les problèmes mondiaux de nature complexes, tandis que Sumner et Mallet font ressortir les activités qui doivent être entreprises pour affronter ces défis, qui ont un effet catalyseur, ciblent les risques, font appel à la recherche et offrent une cohérence sur le plan des politiques.

L’approche des Grands Défis développée et adoptée par un nombre croissant d’organisations et d’institutions, dont la Fondation Bill & Melinda Gates, Grands Défis Canada, l’USAID et d’autres, est un exemple concret et convaincant de ce cadre en action. L’approche des Grands défis vise à stimuler l’innovation – des idées audacieuses ayant un grand impact. Essentiellement, l’approche des Grands Défis offre un mécanisme léger, souple et adaptatif de gouvernance mondiale qui permet à un large éventail de partenaires provenant de différents secteurs (dont le milieu universitaire, les gouvernements, les organisations non-gouvernementales et le privé secteur), ayant des intérêts différents, de trouver des défis communs et de les résoudre en coordonnant leurs contributions individuelles. Les Programmes Grands Défis :

  • Définissent des défis dont la solution susciterait des progrès dans des domaines clés
  • Mobilisent les chercheurs les plus innovateurs dans le monde
  • Ciblent la recherche afin qu’elle ait un impact sur ceux qui en ont le plus besoin
  • Renforcent la collaboration parmi chercheurs et les bailleurs de fonds pour accélérer l’impact
  • Établissent un réseau mondial croissant de programmes et de partenaires.

L’impact potentiel de cette approche est visible dans des initiatives telles que All Children Reading, Powering Agriculture et Sauver des vies à la naissance, dont les cinq partenaires – la Fondation Bill & Melinda Gates, Grands Défis Canada, l’USAID, le DFID (Programme d’aide du R.-U.) et le gouvernement de la Norvège – ont reconnu leur intérêt commun à s’attaquer au problème critique de santé mondiale qu’est la survie de la mère et de l’enfant durant la période qui entoure la naissance. En utilisant l’approche des Grands Défis, ces partenaires ont pu élaborer et mettre en œuvre une initiative cohérente et intégrée pour stimuler l’innovation et relever un défi critique en santé mondiale en moins d’un an. Bien que cette initiative soit relativement nouvelle, les efforts engagés commencent déjà à porter fruit grâce à des innovations telles que :

  • Le dispositif Odón, mis au point par M. Jorge Odón, de l’Argentine, et financé par le partenariat Sauver des vies à la naissance, est une solution de rechange potentiellement plus sécuritaire et facile à employer que les forceps et la ventouse obstétricale lors d’un accouchement assisté, et une solution de rechange plus sécuritaire et moins invasive à la césarienne, en particulier dans les endroits ayant une capacité chirurgicale limitée.
  • Changamka, un micro-fournisseur d’assurance-maladie du Kenya, qui administre un système de bons subventionnés et prépayés et de subventions de transport distribués par téléphonie mobile, ainsi que des interventions informationnelles, dont des messages SMS, des réseaux participatifs et des émissions de radio visant à permettre aux femmes enceintes de se déplacer pour aller consulter des fournisseurs de services de santé appropriés au cours de la période entourant la naissance.
  • dRPC, dans le Nord du Nigeria, qui a démontré que la mobilisation des leaders religieux les plus influents peut amener ces chefs de file à mieux comprendre et à appuyer des interventions permettant de sauver la vie de femmes et de leurs nourrissons, comme des vaccins.

Dans un commentaire paru dans le National Post en juin 2010, nous faisions valoir que les économies émergentes telles que l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud sont appelées à jouer un rôle croissant et important dans le développement. Elles seront probablement moins intéressées par les approches classiques de l’aide au développement (à l’exception des cas d’urgence humanitaire) et plus portées à envisager des approches axées sur l’innovation offrant des solutions à des défis mondiaux pressants, tant à l’étranger qu’à l’intérieur de leurs frontières. Ainsi, l’an dernier, le Brésil a annoncé la création de Grands Défis Brésil et d’autres économies émergentes envisagent d’emboîter le pas au cours de l’année à venir.

Un point de ralliement logique pour ces efforts de développement est le G20. Imaginons l’impact que pourrait avoir le G20 s’il intervenait activement pour inciter ses membres à s’engager dans une approche axée sur les Grands Défis pour régler collectivement des problèmes d’envergure mondiale.

Comment saurons-nous que nous avons surmonté ces grands défis? C’est la question à laquelle devrait répondre les objectifs du développement pour l’après-2015 – un sujet sur lequel nous écrirons bientôt.


Auteurs: Peter A. Singer (@PeterASinger) et David Brook

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